Le chef de l’Etat a reçu ce 21 février à l’Elysée une centaine de présidents de département. Au menu de cette rencontre de cinq heures, notamment, la décentralisation, le financement des AIS, la réforme fiscale… Emmanuel Macron s’est dit prêt à discuter d’une « nouvelle phase » de la décentralisation, mais a averti que « cela conduira à des choix profonds ».
Après les maires, c’est avec les présidents de département qu’Emmanuel Macron a engagé ce jeudi 21 février « un temps de discussion libre » dans le cadre du Grand Débat. Le Premier ministre et une quinzaine de membres du gouvernement participaient également à ce « déjeuner-débat » à l’Elysée avec la quasi-totalité des présidents, soit une petite centaine. Une rencontre qui a duré pas moins de cinq heures. Une longue journée parisienne pour les élus donc, leur matinée ayant été consacrée à une réunion de lancement de la contractualisation entre l’Etat et les départements sur la mise en œuvre de la stratégie pauvreté (voir notre article de ce jour).
« Beaucoup de choses ont été faites » dans les relations Etat-collectivités depuis le début du quinquennat, a affirmé Emmanuel Macron en introduction. « On voit émerger dans le Grand Débat de façon importante une volonté de décentralisation, d’une nouvelle page », a-t-il souligné, invitant les élus à s’exprimer « de manière très directe ».
« Les conditions dans lesquelles se déroule le Grand Débat me laisse penser qu’il a pris », a pour sa part estimé Édouard Philippe, indiquant que 8.000 rencontres ont au total été programmées dans le cadre de la consultation, dont 4.000 ont déjà eu lieu.
Le président de l’Assemblée des départements de France (ADF), Dominique Bussereau, a d’emblée rappelé les tensions entre l’exécutif et les élus depuis 2017, espérant « à présent aller vers une période plus apaisée ». « Nous sommes persuadés que la France attend un nouveau choc de décentralisation » qui est « un des moyens de sortir de la crise que nous sommes en train de vivre », a poursuivi Dominique Bussereau, appelant une nouvelle fois à une révision de la loi Notre de 2015 sur la réforme territoriale. D’aucuns ont à ce titre réclamé « un retour de la clause de compétence générale et une révision des positions sur la gestion de l’eau et de l’assainissement ».
En tête des préoccupations évoquées par les élus départementaux, naturellement, le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS), dont le RSA. « Sur un coût total de 18,6 milliards d’euros en 2017, nous en payons la moitié, ce qui met beaucoup de départements dans une très grande difficulté », a rappelé le président de l’ADF. Le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie et celui de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) a lui aussi été évoqué. « L’Etat nous paye 15% sur 2 milliards d’euros, pour une politique que nous considérons comme régalienne », a déploré Dominique Bussereau au sujet des MNA.
Le président de l’ADF a également interpelé le chef de l’État sur la réforme à venir de la fiscalité locale, défendant l' »autonomie fiscale » des départements. « Nous prendre 20% de nos recettes (…) serait un casus belli », a-t-il prévenu. Il a été rejoint là-dessus par de nombreux autres présidents de département indignés par l’idée d’un transfert aux communes d’une partie des recettes fiscales des départements, notamment la taxe foncière ou les droits de mutation – piste toujours privilégiée par l’exécutif dans le cadre de la suppression de la taxe d’habitation. « Cela aboutirait à l’asphyxie financière des départements et de leur capacité à assumer leur missions. Croyez-vous que c’est ce qu’attendent les personnes âgées bénéficiaires des politiques sociales départementales ? », a par exemple lancé la présidente de l’Oise, Nadège Lefebvre (LR).
Beaucoup d’autres sujets ont été abordés : le numérique et « l’impatience de la couverture mobile totale en 4G », le transfrontalier (Patrick Weiten, président de la Moselle)… ou la limitation de vitesse à 80 km/heure. Mais au-delà des doléances, les prises de parole visaient aussi à faire valoir les atouts et les spécificités de l’action publique départementale.
Après avoir écouté les élus pendant quatre heures et demi, Emmanuel Macron s’est dit prêt à discuter d’une « nouvelle phase » de la décentralisation, mais a averti que « cela conduira à des choix profonds ». « Cela ne peut pas être la perpétuation d’une forme de culture de l’irresponsabilité, où on dit je prends les compétences mais c’est toi (l’Etat) le payeur en dernier ressort », or « j’entends beaucoup de demandes de compétences et des refus de responsabilités ».
« Je ne pense pas que l’avenir de notre pays se construise dans l’ambiguïté et l’accumulation des strates. On a créé des tas de structures mais simplement on n’a jamais choisi. On a un amalgame illisible pour nos concitoyens », a déclaré le chef de l’Etat, appelant à un véritable débat avec les élus autour de « vrais choix, préparés par l’ensemble des territoires ». Et le président de regretter que se soit « développé ces 18 derniers mois un discours contre l’État qui nourrit un sentiment dans les territoires qui est mauvais ».
A l’issue de la rencontre, Dominique Bussereau a considéré que « le ton est au dialogue » : « Il y a eu des positions un peu ‘droit dans les bottes’ auxquelles nous sommes habitués, mais j’ai l’impression que le président de la République a compris que la France des communes et des départements était l’une des solutions à la crise que le pays est en train de vivre ». Quelques heures plus tard, dans un tweet, le président de l’ADF évoquait toutefois « un long dialogue cordial »… « mais un final déconcertant car nous avons ressenti peu d’appétence pour une vraie décentralisation ».