La délégation sénatoriale aux collectivités locales organisait ce 19 novembre une table-ronde d’actualité avec les présidents de l’Association des maires de France, l’Assemblée des communautés de France, l’Assemblée des départements de France et Régions de France. Une nouvelle occasion pour eux de revenir sur les principaux enseignements à tirer de la gestion de la crise au printemps dernier. Et d’évoquer la situation actuelle de collectivités devant à la fois gérer la deuxième vague, faire face à la crise économique qui ne fait que commencer et préparer la relance. Le tout dans un contexte financier tendu.
Entendre les présidents des principales associations d’élus locaux évoquer de concert la crise et la relance du point de vue des collectivités. Ce n’était pas une première, loin de là. Pas même pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, qui s’était livrée à l’exercice au printemps dernier, alors que les collectivités en étaient toujours à tenter de commander des masques… « On était alors dans l’urgence, dans la truelle, dans l’effroi… Pas de masques, pas de blouses… des difficultés extraordinaires de toute nature », rappelle Dominique Bussereau, le président de l’Assemblée des départements de France (ADF). « Aujourd’hui, on est naturellement dans une situation très différente », souligne-t-il. C’était en tout cas une première pour la sénatrice Françoise Gatel, qui préside désormais cette délégation, où elle succède à Jean-Marie Bockel. Une première aussi pour Sébastien Martin, le nouveau président de l’Assemblée des communautés de France (ADCF). Ce 19 novembre, il s’agissait pour la délégation d’inviter quatre représentants des élus locaux à donner leur vision à la fois de ce deuxième confinement, des enseignements tirés du premier… et, à l’heure où le Sénat s’empare du projet de loi de finances, des principaux points d’attention quant à l’état de santé financière des collectivités.
Travailler avec « des professionnels de la gestion de crise »
Au chapitre des enseignements, sans grande surprise, le sujet des agences régionales de santé (ARS) est spontanément revenu. Dominique Bussereau évoquant pour sa région « une ARS en dessous de tout » au printemps dernier mais reconnaissant qu' »aujourd’hui les choses vont mieux », avec une ARS qui désormais « transmet chaque jour des points de situation sur les Ehpad, les collèges… ».
« C’est avec les préfets que nous avons l’habitude de travailler, ils sont des professionnels de la gestion de crise », complète François Baroin, le président de l’Association des maires de France (AMF). « La première crise était une bataille de la logistique, du dernier kilomètre », poursuit-il, jugeant même qu’on aurait dû « faire appel à l’armée ». « La mise en œuvre » des décisions de l’État aurait selon lui dû être confiée « à d’autres ministères » que celui de la Santé. Son verdict : « Il faut redonner aux préfets de département leur autorité sur l’ensemble des administrations ». Si Renaud Muselier, son homologue de Régions de France, juge que « son » ARS a été parfaitement à la hauteur, il sait que cela n’a pas été le cas partout. Que suite à la fusion des Ddass et Drass et à la création des grandes régions, les ARS connaissent une pénurie de personnels. Et il affirme lui aussi que la gestion de crise aurait dû être assurée par l’Intérieur, voire la Défense.
En tout cas, « toutes les leçons du premier confinement n’ont pas été tirées » par l’État, résume François Baroin. Entre autres en termes de concertation. « La concertation, ça ne peut pas être un coup de fil une heure avant » et la question des « délais » reste donc un « vrai sujet ». Par exemple avec la fermeture des commerces : « Le délai a été de 24 heures. Si on avait eu une semaine, les problématiques de commerce auraient pu être gérées, il n’y aurait pas eu ces tensions. »
Evoquant un deuxième confinement « autoritaire et généralisé », Renaud Muselier sent bien le « vent de résistance » qui souffle aujourd’hui y compris parmi certains maires, même s’il n’entend pas contribuer à l’amplifier.
« Les maires sont dépouillés de leur pouvoir de police propre », analyse le président de l’AMF, pour qui la plupart des récentes arrêtés municipaux « nécessitent d’être compris comme des messages d’alerte » plus que comme une fronde.
Pour une « nationalisation » des coûts de la crise
Pour les élus locaux, le principal sujet d’alerte est devant nous. Celui de la crise économique et sociale. Les départements le voient déjà avec « l’augmentation considérable des dépenses de RSA » : « En moyenne mensuelle », on est sur +5% pour certains départements, jusqu’à +25% pour d’autres, témoigne Dominique Bussereau. « On l’a vu pendant la crise du printemps dernier, puis à la rentrée, et cela va s’amplifier par la suite », prévoit-il, tablant sur une hausse de 1 milliard d’euros de la part payée par les départements l’an prochain.
François Baroin évoque pour sa part « toutes ces petites villes qui vont devenir des déserts économiques », les plans sociaux qui vont se multiplier au printemps prochain… Selon lui en effet, « la crise sociale, elle arrivera au mois de mai ou juin ».
Face à cela, les ressources des collectivités sont plus que jamais comptées. Côté départements toujours, Dominique Bussereau relève que si les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) avaient bien entamé une reprise après leur chute du printemps dernier, le nouvel arrêt des visites immobilières et donc des transactions va encore changer la donne. « L’État a pris partiellement en compte » cette situation, estime le président de l’ADF. Mais celui-ci attend notamment dans les jours qui viennent un « arbitrage du Premier ministre » concernant l’engagement de l’État de porter de 115 à 200 millions d’euros, dans le PLFR 4, sa contribution au fonds de stabilité des départements (voir notre article). « Nous venons de nous apercevoir que Bercy, par une manoeuvre invraisemblable, avait enlevé ces 115 millions », a fait savoir Dominique Bussereau, qui prévient : si l’arbitrage « n’est pas positif, nous entrerons dans une grave crise des relations entre les départements et l’État ».
La hausse des dépenses liées à la crise concerne évidemment aussi les autres niveaux de collectivités. Dont le bloc local. Et « le problème, c’est que ce sont des dépenses de fonctionnement », donc non finançables par de l’endettement, rappelle François Baroin. « Comment l’État prend-il à sa charge ces dépenses et les pertes de recettes ? », interroge-t-il. Et Sébastien Martin de pointer la question spécifique de la compensation des pertes de recettes des réseaux de transports : « C’est une question pour maintenant ! », lance-t-il.
« On demande une nationalisation » des coûts directement liés à la gestion de la crise, insiste François Baroin, parlant d’un « spectaculaire écrasement de l’auto-financement » pour beaucoup de communes… mais aussi d’intercommunalités « qui ne pourront pas être au rendez-vous de l’investissement public ».
Côté recettes fiscales, pour le président de l’AMF, la baisse des impôts de production prévue par le plan de relance n’est rien moins qu’une « faute politique et une faute économique ». « Si l’objectif est de relocaliser, c’est la mauvaise méthode », tranche-t-il. Surtout lorsque cette décision intervient après la suppression de la taxe d’habitation…
Renaud Muselier s’inquiète lui aussi de « l’impasse financière » pour le bloc local, invitant l’État à « lever cela au plus vite ». Car cela « met en péril la commande publique »… y compris dans le cadre du plan de relance.
Relance : c’est d’une « extrême complexité »
François Baroin rappelle en effet que pour les projets liés aux crédits du plan de relance, « l’État va demander au moins 20% de participation des collectivités ». Or « beaucoup d’entre elles ne pourront pas ». « Il ne faut pas que cela soit un élément de blocage. » Renaud Muselier craint lui aussi les conséquences de l’impossibilité pour certaines communes ou intercommunalités d’apporter cette « quote-part ».
Ce plan de relance suscite bien d’autres interrogations. Ne serait-ce que parce que « c’est l’État seul qui en a fixé les priorités », rappelle François Baroin. Et si tous sont satisfaits de la volonté du gouvernement de territorialiser ce plan, Renaud Muselier relève que « sur les 100 milliards, seuls 16 milliards seront territorialisés ». Àmoins que ce ne soit 16 milliards par an, auquel cas la territorialisation concernera un tiers des crédits du plan, espère Sébastien Martin, qui plaide en outre pour « un vrai cadre de concertation », une « architecture claire », et pour que l’on n’assiste pas à une multiplication des appels à projets de la part des ministères ou agences.
Et puis concrètement, dans la mise en œuvre, entre les préfets de région, les sous-préfets à la relance, les comités régionaux, les comités départementaux… Renaud Muselier « ne sait pas très bien » comment tout cela va se passer. « On mélange tout : les contrats de plan État-région, les fonds de filières, le plan de relance », regrette-t-il. Et le président de Régions de France d’évoquer par ailleurs les crédits européens : « Qu’il s’agisse de fonds d’urgence ou de fonds de transition juste, il faut que les crédits soient au niveau régional et ne repassent pas dans les caisses de Bercy ». Pour Dominique Bussereau non plus, les choses ne sont « pas très claires » : « On nous dit qu’il y aura des plans de relance départementaux. Mais en même temps on nous dit de préparer les CPER. Et de faire dans le cadre du plan de relance des opérations d’infrastructures qui n’ont pu être financées lors des précédents CPER ! ». C’est d’une « extrême complexité », conclut-il.
Tout cela ne vient que plaider en faveur d’un « cadre de dialogue renouvelé » entre État et collectivités, selon les termes du président de l’ADCF, qui souhaiterait ajouter au futur projet de loi « 3D ou 4D » le « C de la confiance ». Pour les trois autres présidents d’associations d’élus – qui ont depuis un an et demi fait cause commune en présentant à Marseille leurs propositions sur la décentralisation sous la bannière Territoires unis –, on espère toujours que ce projet de loi annoncé pour janvier sera à la hauteur des enjeux. Car la crise aurait bien montré que « l’État est dépouillé sur la plupart des territoires » et que les collectivités, « plus agiles », sont « en capacité de remplacer l’État dans bien des domaines », plaide François Baroin. « L’enjeu est celui d’un État plus performant » et donc recentré sur ses compétences régaliennes », abonde Françoise Gatel.
François Baroin insiste particulièrement sur le champ de la santé. « Dans ce domaine de la santé, oui il faudra des transferts de personnels, de crédits », dit-il. Il cite aussi le logement – « un sujet sur lequel il faut ouvrir le jeu » –, la culture, le tourisme, le sport… Sébastien Martin considérant pour sa part que les intercommunalités pourraient être « autorités organisatrices » dans bien d’autres champs que celui de la mobilité. La future phase de décentralisation, résume François Baroin, devra être ni plus ni moins qu’une « nouvelle organisation des pouvoirs publics ».