Départements franciliens : « L’Etat pique dans notre caisse pour régler ses propres dettes »

Les présidents des sept départements d’Ile-de-France et la Ville de Paris se mobilisent bruyamment pour protester contre l’intention du gouvernement de prélever 75 millions sur leurs recettes de DMTO pour contribuer au financement de la Société du Grand Paris et, à travers elle, à la part que doit apporter l’Etat au volet mobilité du Contrat de plan Etat-région.

Ils étaient tous là. Les présidents des sept départements franciliens et le premier adjoint à la mairie de Paris. En principe, ils auraient dû être ailleurs en ce jeudi après-midi. Ils auraient dû être au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris. Mais ils ont décidé de le boycotter. Et, à la place, d’inviter la presse dans les locaux de l’Assemblée des départements de France (ADF) pour donner le maximum d’écho à leur mouvement de colère. « Racket », « holdup », « razzia », « mensonge », « mauvais coup », « coup de Jarnac », « mépris », « chantage »… Les mots ont fusé.

L’origine de leur courroux : la volonté du gouvernement de ponctionner l’an prochain 75 millions d’euros sur le produit de DMTO (droits de mutation) des départements d’Ile-de-France pour les affecter à la Société du Grand Paris (SGP). Le « prélèvement » serait ensuite de 60 millions d’euros par an à compter de 2021. Un amendement gouvernemental au projet de loi de finances pour 2020 a été déposé et adopté (par 37 voix contre 22) en ce sens le 14 novembre à l’Assemblée nationale (lire notre article du 15 novembre). Ceci, afin de contribuer à renflouer les caisses d’une SGP en mal de ressources, en plus d’autres mesures telles que l’augmentation de la taxe sur les bureaux dans neuf arrondissements parisiens et quatre communes des Hauts-de-Seine, considérés comme « les plus attractifs » de l’agglomération, également votée dans le cadre du PLF. Tout cela figurait il y a un an dans le rapport Carrez de septembre 2018 sur les ressources de la SGP, tel que l’a rappelé à l’Assemblée le ministre Gérald Darmanin, en présence d’ailleurs du député du Val-de-Marne.

Les départements concernés avaient tout de suite réagi par voie de communiqué. Ils avaient découvert la disposition seulement quelques heures plus tôt, ayant été convoqués à la dernière minute pour une réunion sobrement intitulée « Société du Grand Paris ». Sur la forme déjà, ils avaient peu apprécié.

Sur le fond, tous ont redit ce 27 novembre leur opposition, Dominique Bussereau, le président de l’ADF, étant là pour leur témoigner la « solidarité totale » de l’association. Le fait que les présidents de ces sept départements, au-delà de leurs étiquettes politiques, se fassent entendre d’une seule voix n’est désormais plus exceptionnel. Le fait en revanche que la Ville de Paris s’y associe est plus inédit. « Pourquoi une ponction sur les DMTO pour financer le métro ? On ne comprend pas », a lancé son représentant, Emmanuel Grégoire.

« La SGP, c’est le faux nez », a souligné Christian Favier, le président du Val-de-Marne. L’exposé sommaire de l’amendement précise en effet que sur les 75 millions d’euros prélevés, 50 millions viendront en réalité abonder la part que doit apporter l’Etat au Contrat de plan Etat-région pour « le financement d’opérations d’investissement prioritaires dans les transports en Ile-de-France » (et même chose en 2021 et 2022, soit alors 50 millions sur 60). « L’Etat pique dans notre caisse pour régler ses propres dettes », en déduit François Durovray, le président de l’Essonne, indiquant qu’il « manque plus de 200 millions de l’Etat pour 2020 sur le seul volet mobilité du contrat de plan ».

Son homologue de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, parle de « triple pleine ». Il rappelle que les départements sont déjà régulièrement appelés à financer les transports, que ce soit dans le cadre du « bloc local » des contrats de plan ou pour venir boucler le financement de tel ou tel projet spécifique (Christian Favier cite l’exemple de la ligne de tramway T9, pour laquelle son département a apporté 120 millions sur un budget total de 400 millions). Et ce, « alors même que depuis la loi Notre, on n’a plus la charge des transports ». Stéphane Troussel rappelle aussi que c’est parce qu’ils n’ont en principe plus la compétence transports que la CVAE qu’ils percevaient jusque-là a été transférée à la région. Et que les départements cotisent déjà à Ile-de-France Mobilités. Sur le prélèvement de 75 millions prévu, la Seine-Saint-Denis devra verser 6 millions d’euros. Soit, dit-il, « trois fois plus que l’aide qui nous a été annoncée pour le bâti scolaire » dans le cadre du plan « L’État plus fort en Seine-Saint-Denis » présenté le 31 octobre. « L’Etat ne peut pas à la fois faire la manche et nous braquer », lance Patrick Devedjian.

Le 14 novembre dans l’hémicycle de l’Assemblée, Gérald Darmanin a dit et répété que les DMTO avaient « augmenté de 1 milliard d’euros en Île-de-France en un an ». Les élus départementaux ne comprennent pas d’où vient ce chiffre, avançant pour leur part une hausse de 75 millions d’euros en 2018. Ils ont aussi relevé que le ministre avait voulu « prendre à témoin les élus de province » en déclarant que « certains départements, qui ne font pas partie de la banane bleue, aimeraient bien voir leurs DTMO croître de 1 milliard d’euros en un an ». François Durovray juge déplacé le fait d »opposer l’Ile-de-France et la province ». Et ce, d’autant plus que les départements ont, de leur propre initiative, élaboré et fait inscrire dans la loi un dispositif de péréquation horizontale des recettes de DMTO. Ce fonds national de péréquation – un mécanisme de solidarité qui ne coûte rien à l’Etat – sera de 1,6 milliard d’euros en 2020. L’Ile-de-France prise globalement est évidemment contributrice. « Nous assumons les solidarités territoriales » dès lors que l’Etat « n’assume pas la péréquation verticale », insiste Emmanuel Grégoire.

En plus de ce fonds national, les sept départements franciliens décidaient l’an dernier de « mettre en commun une partie de leurs ressources » (150 millions d’euros) dans un « Fonds de solidarité et d’investissement Interdépartemental » (FS2i). Là encore, un « outil de redistribution de richesses ». Qui doit permettre le financement de 109 projets déjà identifiés. Or l’initiative se retrouve « bloquée, au moment même où l’on devait procéder au mandatement », les services de l’Etat avançant « des arguments comptables », explique Marie-Christine Cavecchi, présidente du Val d’Oise. « Il y a blocage parce que Bercy nous dit que le FS2i doit être comptabilisé en fonctionnement, et non en investissement, alors que c’est à 90% de l’investissement », précise Patrick Devedjian. Et qui dit fonctionnement dit dépenses prises en compte dans le cadre des contrats de Cahors… Selon les élus, le gouvernement pourrait être tenté de conditionner son accord sur le FS2i à l’acceptation du prélèvement de 75 millions sur les DMTO.

Tous restent pour l’heure fermes sur leur position. « Nous pouvons prendre des mesures de rétorsion » (François Durovray), « chacun étudie dans son département ce qu’il peut arrêter de payer » (Stéphane Troussel), préviennent-ils. Des amendements de suppression ont été préparés et déposés au Sénat, à l’instar de celui porté par Philippe Dallier, sénateur de Seine-Saint-Denis. S’ils ont bon espoir de voir leur cause entendue au Sénat, ils seront plus que vigilants lorsque la disposition fera son retour à l’Assemblée ».

Cet épisode témoigne selon eux, au-delà même des sommes en jeu, d’une volonté d’affaiblir les départements. On sait que d’aucuns remettent régulièrement en question l’existence des départements de petite couronne. Mais ils font valoir qu’un tel précédent doit en réalité interpeller l’ensemble des départements. Emmanuel Grégoire par exemple voit, « à travers cet exemple, une contestation de la décentralisation » et de l’autonomie financière des collectivités. Pour Patrick Devedjian,  la disposition « pose juridiquement de gros problèmes » et pourrait par conséquent, en cas de saisine, ne pas avoir l’aval du Conseil constitutionnel.

 

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