Depuis la loi Notr, les entreprises publiques locales (EPL) départementales sont en plein chamboulement. Pour se caler sur la nouvelle répartition des compétences, certaines ont décidé de recentrer leur objet social, par exemple vers le tourisme, d’autres ont préféré céder une partie de leurs actions, généralement au profit des intercommunalités, certaines sont allées jusqu’à des fusions… La montée en puissance des intercommunalités dans le capital des Sem est le phénomène marquant.
Conséquence de la redistribution des compétences avec la loi Notr du 7 août 2015, les entreprises publiques locales (EPL) « départementales » sont amenées à se réorganiser en profondeur. Exit la compétence économique, les transports interurbains et scolaires, transférés aux régions, ou l’immobilier d’entreprise désormais du ressort des intercommunalités : les départements doivent se mettre en accord avec l’article 133 de la loi. Selon ce texte (voir encadré ci-dessous), ils ne peuvent plus être actionnaires majoritaires des sociétés d’économies mixtes ou des sociétés publiques locales d’aménagements dont « l’objet social » a été transféré à d’autres échelons. Ils doivent céder les deux tiers des parts à la collectivité territoriale ou au groupement de collectivités qui en a hérité. « Au-delà de ces cas de figure, de notre point de vue, l’article 133 ne s’applique pas expressément », explique Florian Poirier, responsable du pôle Collectivités locales à la Fédération des EPL, qui reconnaît cependant que tout n’est pas très clair. Quid tout d’abord des autres sociétés de la famille des EPL telles que les SPL ? Où se situe la frontière entre la « solidarité territoriale » dévolue au département et le développement économique ? « La logique même de la loi était de faire confiance à l’intelligence locale, de donner un élan aux EPL dont les compétences sont très claires ; pour les autres, elle donne une boussole. Cet article a permis aux EPL d’être proactives et de questionner leur gouvernance. Ce mouvement est clairement engagé », se félicite Florian Poirier.
Trois cas de figure
En témoigne en effet un article publié en janvier 2018 par la Fédération des EPL qui, dès 2015, a sensibilisé les EPL quant à ces évolutions et aux risques juridiques qu’elles soulevaient. D’un département à l’autre, les préfets se montrent plus ou moins sourcilleux avec le contrôle de légalité. Mais la fédération souhaite surtout mettre en avant les bonnes pratiques. Les EPL départementales se sont ainsi orientées vers trois possibilités : céder une partie de leurs actions, au profit de l’ensemble des intercommunalités du département, d’une agglomération ou encore d’une région ; modifier leur objet social pour rester dans le cercle des compétences autorisées ; ou encore fusionner plusieurs EPL départementales entre elles.
A l’exception de la Somme, tous les départements détiennent des parts dans des EPL. Tous domaines confondus (aménagement, logement, tourisme, développement économique, environnement, services à la personne…), ils sont présents dans 297 des 1.254 EPL existantes. Au moment de la loi Notr, 141 EPL avaient encore pour actionnaire principal le département. Les conseils départementaux étaient ainsi au capital de 44 EPL de développement économique et même actionnaire principal dans 18 d’entre elles. Ils étaient aussi présents dans 20 EPL de transports. Mais « 50% des EPL ont un objet social composite », insiste Florian Poirier. Elles exercent plusieurs compétences à la fois. Ce qui les conduit à regarder de près leur objet social.
Renforcement de l’ancrage territorial
Pour se mettre en conformité, la Sem d’aménagement Vendée Expansion a ainsi décidé de cibler clairement sa stratégie vers le tourisme qui représente 50% de son chiffre d’affaires. Si elle a abandonné les aides aux entreprises, elle continue cependant d’intervenir dans l’aménagement de zones d’activités. En modifiant ainsi son objet social, elle n’a pas eu besoin de rééquilibrer son actionnariat.
A la Teractem, Sem d’aménagement du département de la Haute-Savoie, le virage imposé par la loi Notr a été vécu comme une « opportunité » : le département a décidé de descendre de 59,29% à 33% dans le capital et de céder ses parts principalement aux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) de la Haute-Savoie à un prix avantageux. La stratégie de la Sem reste inchangée. Mais elle a ainsi renforcé son « ancrage territorial ». Avec la nouvelle carte intercommunale, cette solution est promise à un bel avenir. « Le paysage intercommunal a été remis à plat, les intercommunalités joueront un rôle de plus en plus affirmé au sein des EPL, c’est le sens de l’histoire », estime Florian Poirier.
La fédération cite également le cas de Tandem, la Sem départementale du Territoire de Belfort qui a vendu, début 2017, les deux tiers de ses parts à la communauté d’agglomération du Grand Belfort, devenue actionnaire majoritaire. La Sem en a profité pour augmenter son capital et ses capacités d’intervention. Ailleurs, des Sem ont décidé de renforcer leurs partenariats pour répondre à la baisse du chiffres d’affaires, mutualiser compétences et moyens. Certaines sont allées jusqu’à fusionner. C’est le cas de Sedia, une Sem née en novembre 2017 de la fusion de la SedD (Doubs) et de la Socad (Jura et Haute-Saône).
Mettre l’actionnariat en cohérence avec le carnet de commande
Reste la question des Sem régionales, encore rares. « Jusque-là, les régions ont surtout été des collectivités programmatiques. Avec la loi Notr, elles deviennent vraiement opérateurs de services publics, on constate naturellement une appétence plus grande de leur part pour l’outil EPL », explique Florian Poirier. C’est le cas en matière d’efficacité énergétique avec, par exemple, la Sem francilienne Energies Posit’IF qui, grâce à sa taille critique, a pu obtenir d’importants financements du plan Juncker. On notera aussi le cas de l’agence économique régionale de Bourgogne-Franche comté (AER-BFC) créée dès 2013 à l’échelle de la Franche-Comté avec le statut de SPL.
Un champ nouveau s’ouvre en matière de transports. Ces dernières années, plusieurs départements – Saône-et-Loire, Tarn, Drôme-Ardèche, Landes -, avaient créé des SPL de transport. Les SPL ne sont pas explicitement visées par l’article 133. Mais depuis le 1er janvier, le transport interurbain a été retiré au département pour être confié là a région, et le transport scolaire depuis le 1er septembre 2017 (même si une dizaine de départements ont choisi de conserver la compétence par délégation). « Les régions ont vocation à prendre en main ces sociétés », estime Florian Poirier. La Sradda (Sud Rhône-Alpes déplacements Drôme-Ardèche), par exemple, était détenue jusqu’ici à 46% par le département de la Drôme et à 9% par celui de l’Ardèche. La région possédait 18% des parts. Les deux départements ont décidé de céder l’intégralité de leurs parts…
Quel que soit le cas de figure, le département peut toujours garder des actions. Au moins de façon provisoire. « Il est évident qu’il ne faut pas tout déstabiliser, les EPL départementales représentent quelque 600 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 2.600 emplois », fait valoir Florian Poirier, avant de donner ce dernier conseil : « Mettez en cohérence votre actionnariat avec votre carnet de commande. »
« Le département actionnaire d’une société d’économie mixte locale ou d’une société publique locale d’aménagement dont l’objet social s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la loi attribue à un autre niveau de collectivité territoriale ou à un groupement de collectivités territoriales peut continuer à participer au capital de cette société à condition qu’il cède, dans l’année qui suit l’entrée en vigueur de la présente loi, à la collectivité territoriale ou au groupement de collectivités territoriales bénéficiaire de cette compétence, plus des deux tiers des actions qu’il détenait antérieurement. »