Répondant à l’invitation des trois grandes associations d’élus (Régions de France, ADF, AMF), plus d’un millier d’élus locaux ont lancé mercredi soir à Marseille, en amont du congrès annuel des régions, un appel pour demander plus de « libertés locales » et dénoncer une « ultra-centralisation ». Retour sur cet « Appel de Marseille ».
Une révolution de palais ? C’est tout comme. Sur les hauteurs de la Cité phocéenne, les ténors du monde local étaient réunis le 26 septembre au soir au Palais du Pharo pour faire résonner « l’Appel de Marseille » contre le mouvement de recentralisation qu’ils disent observer depuis le début du quinquennat. Un appel signé par 1.200 élus (maires, élus régionaux ou départementaux) de toutes tendances et porté par les présidents des trois grandes associations d’élus, Hervé Morin (Régions de France), Dominique Bussereau (Assemblée des départements de France) et François Baroin (Association des maires de France). A savoir les trois associations qui avaient boycotté la dernière conférence nationale des territoires (CNT) au mois de juillet. « Avec ce gouvernement nous ne nous sommes pas compris (…). Nous espérions un 4e acte de la décentralisation et nous avons un premier acte de la recentralisation », a d’emblée clamé le président de la région Paca, Renaud Muselier, en introduction de ce premier « Rassemblement des élus pour les libertés locales », auquel s’est joint le président du Sénat, Gérard Larcher. Et ce, à la veille du congrès annuel des régions, le 27 septembre, dans ces mêmes lieux. « C’est la première fois que les trois plus grandes associations d’élus s’expriment d’une même voix », a assuré le président de la région Paca (on se souvient toutefois de leurs prises de parole communes en avril puis en juillet). Signe, selon lui, d’un « malaise profond ».
Chantier inachevé
« Notre pays meurt à petits feux de son ultra-centralisation », estiment les associations. Ce manifeste pour les libertés locales plaide pour une « nouvelle étape de la décentralisation » et constate « l’échec » de la CNT, que le gouvernement avait présentée comme la nouvelle instance de dialogue avec les collectivités. « Il faut désormais inventer l’outil efficace du dialogue et de la négociation », réclament les élus. « La CNT ne peut plus être la fameuse chambre d’instruction où les élus locaux viendraient prendre leurs consignes », a ainsi fustigé André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF.
Après le vent de réforme territoriale qui avait traversé le précédent quinquennat, le nouvel exécutif avait proposé une « pause ». Ce que les associations d’élus souhaitaient elles-mêmes. Mais plus de trois ans après les lois Notre (2015) et Maptam (2014) qui ont créé les 13 grandes régions et les métropoles, les élus ont aujourd’hui le sentiment d’un chantier inachevé : la clarification des compétences n’est toujours pas au rendez-vous, quand elle n’est pas en recul (avec le retrait de l’apprentissage aux régions par exemple ou la volonté de recentraliser le Feader). Et, surtout, les financements font cruellement défaut pour assumer de nouvelles responsabilités. « On nous applique le garrot et le corset », a résumé André Laignel. Renaud Muselier pointe, lui, le risque d’une accentuation des « fractures territoriales », au moment où « les démagogues, les populistes et les extrémistes gagnent du terrain ».
Pour les élus locaux, le « Pacte girondin » proposé par le président de la République le 17 juillet 2017 n’a pas été respecté. Les associations déplorent au contraire le « mépris de plus en plus flagrant d’une technocratie ». Principale pomme de discorde, les 13 milliards d’euros d’économies demandées pendant le quinquennat (pourtant moins douloureuses que les coupes dans les dotations décidées sous François Hollande, d’autant qu’il s’agit en réalité de 13 milliards de « moindre hausse » des dépenses par rapport à l’évolution tendancielle) et les fameux contrats financiers qui imposent aux 322 plus grandes collectivités de limiter à 1,2% la hausse annuelle de leurs dépenses de fonctionnement. Des « contrats léonins » obtenus sous le « chantage », ont dénoncé des élus. 92 d’entre eux ont d’ailleurs refusé de signer. « L’Etat fait le coucou dans le nid de notre bonne gestion », a asséné Dominique Bussereau. D’après le manifeste, d’ici 2022, les collectivités locales auront contribué à un désendettement de la France « à hauteur de 50 milliards », « alors que l’État va accroître l’endettement du pays de 330 milliards d’euros ». « A quand la réforme de l’Etat ? », interroge le document.
Territoires unis
Au fil des mois, les griefs contre l’Etat se sont multipliés. Baisse des emplois aidés et des APL, compensation du financement du RSA, suppression de la taxe d’habitation… Et chaque échelon de collectivités a ses propres motifs d’insatisfaction. « La remise en cause des contrats de plan Etat-régions, le transfert de charges sur les départements de près de 11 milliards d’euros sur les allocations individuelles de solidarité et les mineurs non accompagnés, l’avalanche de normes et de réglementations sur les communes doivent cesser », détaille le manifeste.
Dans ce climat frondeur, les élus s’affichent comme des « territoires unis » et refusent toute instrumentalisation. « On a tout fait pour nous diviser depuis des mois. Nous sommes tous unis pour défendre une certaine idée des libertés », a insisté Hervé Morin. En signe de solidarité avec les départements, François Baroin a refusé l’octroi aux communes de la part départementale de foncier bâti pour compenser la disparition de la taxe d’habitation, piste actuellement privilégiée par le gouvernement dans la future réforme de la fiscalité locale. « Rien ne serait pire que se laisser tenter par le poison de la division », a souscrit Gérard Larcher. Ce dernier a assuré que le Sénat allait s’atteler à défendre le « statut de l’élu », la « libre administration » des collectivités, le droit à la « différenciation territoriale » et à l’expérimentation, dans le cadre du projet de réforme constitutionnelle suspendu par l’affaire Benalla…
Cette initiative ne fait pourtant pas l’unanimité : Villes de France, France urbaine et l’Assemblée des communautés de France (AdCF) ont tenu à prendre leurs distances ces derniers jours. « L’AdCF sera toujours à la table des discussions avec le gouvernement pour moderniser l’action publique. C’est une attente de nos citoyens. Quand on veut gagner, il faut participer », a ainsi fait savoir le président de l’Association, Jean-Luc Rigaut, le jour de ce rassemblement. De son côté, l’Association des petites villes de France (APVF) s’est également voulue constructive en formulant il y a quelques jours des propositions pour améliorer l’organisation des travaux de la CNT.
Le Premier ministre Edouard Philippe a finalement décidé de se rendre au congrès des régions, ce jeudi. Les échanges promettent d’être vifs. Pour François Baroin, qui se défend de représenter un « syndicat d’élus », le mouvement de démissions sans précédent de maires et de conseillers municipaux est un signal d’alerte. Une absence d’écoute conduirait, selon lui, à la « revendication d’un éclatement de l’Etat », vers un modèle fédéral. Et comme pour donner le ton, les élus ont achevé leur rassemblement en entonnant la Marseillaise.