Dans une étude, le Conseil d’État conseille d’assouplir le cadre juridique qui organise le recours aux expérimentations de politiques publiques. Des constats et une somme de 14 propositions qui confortent les projets du gouvernement en la matière.
Comment faciliter le recours par les acteurs publics à l’expérimentation, une démarche permettant d' »éclairer le mieux possible les choix de politiques publiques » ? À la demande du Premier ministre, le Conseil d’État, avec la collaboration notamment de représentants des grandes associations d’élus locaux, vient de livrer sa réponse.
Les expérimentations « permettent de tester sur le terrain, pendant une durée limitée, une mesure, une politique, un mode d’organisation, ou une nouvelle technologie, et d’en mesurer les effets de façon objective », rappelle la haute juridiction administrative dans son étude de 150 pages. Elle y dresse un bilan mitigé de l’introduction en 2003 dans la Constitution de dispositions (article 37-1 et 4e alinéa de l’article 72 de la Constitution) destinées à créer un cadre favorable à leur développement. Fin juin 2019, 269 expérimentations, principalement dans les domaines des transports, de la santé et de l’emploi, avaient été menées « sur le fondement de l’article 37-1 », dont 153 étaient en cours. Des expérimentations aussi emblématiques que « Territoires zéro chômeurs » (dans une dizaine de territoires) et les salles de consommation de drogue à moindre risque (auxquelles participent les villes de Paris, Strasbourg et bientôt Marseille) relèvent de cette catégorie. Le recours à l’expérimentation (par les collectivités, mais pas seulement) dans le cadre de l’article 37-1 de la Constitution « s’est nettement accéléré dans les dernières années », observe le Conseil d’État. En effet, 103 expérimentations ont été initiées au cours de la période 2017-2019.
« Stimuler l’innovation des collectivités »
En revanche, la procédure de l’article 72 alinéa 4 de la Constitution, qui permet aux structures publiques locales de « déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences », n’a pas fait florès. En quinze ans, seulement quatre expérimentations ont été menées sur cette base, dont deux ont débouché sur une généralisation : revenu de solidarité active, en 2009, et accès à l’apprentissage jusqu’à l’âge de 30 ans, en 2018. Le diagnostic des magistrats rejoint celui que les députés Arnaud Viala et Jean-René Cazeneuve faisaient déjà en mai 2018 : « Le cadre fixé par la loi organique du 1er août 2003 relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales en application de l’article 72 de la Constitution apparaît excessivement contraignant. » Non seulement, la procédure à suivre est « lourde », mais, de surcroît, l’issue de l’expérimentation est « binaire » : soit la mesure testée par une collectivité est généralisée à l’ensemble du territoire, soit l’expérimentation est abandonnée. La loi organique ne prévoit pas que l’expérimentation puisse être pérennisée seulement dans les territoires expérimentateurs ou une partie d’entre eux. C’est toutefois une option qui pourrait être introduite via une modification de la loi organique, et ce à droit constitutionnel constant.
Une modification de l’article 72 de la Constitution, tel qu’elle est envisagée par le gouvernement avec son projet de loi pour un renouveau de la vie démocratique déposé fin août au Parlement, permettrait d’être plus ambitieux. Dans ce cas, une autre hypothèse serait possible : l’extension de l’expérimentation à d’autres collectivités n’ayant pas participé à l’expérimentation, mais souhaitant l’appliquer. De telles évolutions juridiques seraient de nature à « stimuler l’innovation des collectivités territoriales et à donner davantage de responsabilités aux élus dans l’exercice de leurs compétences », estime le Conseil d’État.
Appels à projets
En cas d’adoption, la modification de l’article 72 de la Constitution permettrait à certaines collectivités territoriales de se voir attribuer des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie, par transfert de compétences entre collectivités territoriales de catégories différentes. De tels aménagements « pourraient être expérimentés à l’issue d’appels à projets », suggère le Conseil d’État. De même, « des appels à projet d’expérimentations spécifiques pourraient (…) porter sur des transferts de certaines compétences de l’État à des collectivités territoriales », propose encore la juridiction. Pour elle, l’État ne doit pas être le seul à la manœuvre. L’étude avance ainsi l’idée de la mise en place d’ »un guichet unique permanent » permettant aux collectivités territoriales de « solliciter la mise en place d’une expérimentation dans leurs domaines de compétence ». Au-delà, le Conseil d’État propose de renforcer l’accompagnement des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des expérimentations. Afin d’éviter que des erreurs ne soient faites – comme cela s’est déjà produit à de nombreuses reprises – l’étude fournit moult conseils méthodologiques.
Dans un communiqué, la ministre en charge de la cohésion des territoires « s’est réjouie » des propositions faites par le Conseil d’État, notamment sur la modification de l’article 72 de la Constitution. Elle « compte bien s’appuyer sur ces recommandations pour faciliter, en concertation avec les associations d’élus, le recours à l’expérimentation », a-t-elle affirmé. Au-delà de la révision constitutionnelle, ce sera le but du projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation et déconcentration) que Jacqueline Gourault présentera à la fin du printemps 2020.