Frayeur et émotion dans les Pyrénées

La montagne. Elle nous a accompagné presque jusqu’au bout. Elle nous a offert des moments d’anthologie, comme au col du Granon, où Tadej Pogacar a explosé en plein vol. D’incroyables bouffées d’air frais dans un paysage à couper le souffle. Des moments de sérénité aussi, au milieu des alpages, des odeurs de mélèze et de foin. Les derniers, aujourd’hui. Et avec eux, les ultimes offensives en altitude. La mission fut ardue, et sans le moindre temps mort pour cette étape 100% pyrénéenne entre Lourdes et Hautacam, avec une belle découverte au menu : le col de Spandelles.

Combien sont-ils à avoir allumé un cierge dans le sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes ? À avoir imploré la cité mariale de leur donner de la force physique et mentale ? Car après 17 étapes et bientôt trois semaines de course, les organismes commencent à montrer de sérieux signes de fatigue. Les crampes, les petits bobos sont là. Il faut composer avec. Parfois ils sont accentués par la chaleur. Plus de 35 coureurs ont abandonné depuis le début. Les équipiers des Départements de France commencent eux aussi à fatiguer. Le matin, les yeux sont petits. L’énergie vient à manquer. Mais le rouleau compresseur qu’est le Tour de France ne laisse pas vraiment le temps d’y réfléchir ou de se plaindre. Aujourd’hui encore, il fallait poser près de 200 panneaux pour signaler les points dangereux et scruter le parcours à la recherche du moindre gravillon pouvant se révéler traître. Des gestes répétés pour la 18ème fois depuis le coup d’envoi du Tour le 1er juillet dernier au Danemark. Et une fois encore – Dieu soit loué – la mission fut un succès !

Le petit nouveau qui fait peur

Ce matin, au pied de la Basilique de Notre-Dame de Rosaire, transformée en village départ pour quelques heures, le public a lui sans doute préféré prier pour avoir une dernière étape de montagne riche en suspens et en spectacle. Prière exaucée. De Lourdes à Hautacam, la bagarre fut féroce dans les trois ascensions du jour. À commencer par celle de l’Aubisque, l’apéritif avant cet inédit : le col de Spandelles. Après 109 éditions, difficile de trouver des routes encore jamais empruntées par la Grande Boucle. Mais pas impossible. Le duo Prudomme-Gouvenou aime innover, et il l’a prouvé. Lourd. Étroit. Raide. Sauvage. Magnifique. Les adjectifs pour décrire le col de Spandelles ne manquent pas. Son sommet culmine à 1 378m d’altitude. Avant de l’atteindre, il faut d’abord s’esquinter les mollets dans les 10,3 km à 8,3% de moyenne qui le précèdent.

Mais les organisateurs du Tour n’avaient surement pas imaginé qu’on y frôlerait la catastrophe pour cette grande première. Le col de Spandelles a en effet failli faire basculer l’issue de la course. C’est d’abord le maillot jaune, Jonas Vingegaard, qui a été à deux doigts de voir ses espoirs de victoire partir en fumée en perdant l’équilibre dans un virage. Chute finalement évitée grâce à un impressionnant numéro d’équilibriste. Quelques secondes plus tard, le double vainqueur du Tour de France n’a lui rien pu faire. Le virage est mal négocié. La chute inévitable. Heureusement sans gravité pour Tadej Pogacar, qui s’est simplement déchiré le cuissard et égratigné la peau.

Jonas Vingegaard aurait pu profiter de la situation, mais le Danois a choisi d’être fair-play. Très sportivement, il attend son meilleur ennemi. Les deux hommes se serrent la main et repartent ensemble. L’image restera. L’explication finale pouvait bien attendre l’ascension d’Hautacam. Une fois là-haut, on a vite compris que plus rien ne retenait le maillot jaune. Pour la deuxième fois cette année, il s’est imposé en solitaire. On voit désormais mal qui pourrait l’empêcher de remporter le Tour tout court. Derrière, le Slovène a concédé plus d’une minute sur son poursuivant. Le Belge Wout van Aert complète le podium. Et comme toutes les bonnes choses ont une fin, il est temps pour les équipiers des Départements de France de dire au revoir à la montagne, non sans un pincement au cœur. Demain le point le plus culminant ne dépassera guère les 300 mètres…

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