C’est devant les maires ruraux réunis en congrès à Eppe-Sauvage, dans le Nord, qu’Edouard Philippe a tracé ce vendredi 20 septembre les grandes lignes d’un plan en faveur des territoires ruraux. Un plan directement inspiré des propositions de la mission « Agenda rural ». A la clef, à la fois des mesures nouvelles et des déclinaisons de dispositifs déjà lancés ou annoncés. Et ce, qu’il s’agisse de la préservation et de la valorisation du patrimoine environnemental de ces territoires, de maintien des petits commerces, d’accès aux services publics ou d’initiatives en faveur des jeunes. On saura aussi que les ZRR laisseront place en 2021 à une nouvelle géographie prioritaire.
« 173 mesures pour nos campagnes ». C’est la somme que le gouvernement a dévoilée ce 20 septembre, en écho direct au rapport de la mission « Agenda rural » remis en juillet dernier à la ministre Jacqueline Gourault. Le Premier ministre est venu présenter une partie de ces mesures devant quelque 300 élus réunis… dans un village de 275 habitants. A Eppe-Sauvage, dans le Nord, où se tenait ces 20 et 21 septembre le congrès annuel de l’Association des maires ruraux (AMRF).
« Nous avions demandé à de bons connaisseurs de la vie rurale de travailler et de nous dire ce qu’ils suggèrent de mettre en place » en faveur de la ruralité, se souvient Edouard Philippe, tout en rendant hommage à Vanik Berbérian, le président de l’AMRF, qui réclamait une démarche de ce type depuis longtemps : « Nous tenons l’Agenda rural à sa persévérance ».
Ce rapport, préparé par cinq élus – le député Daniel Labaronne, le sénateur Patrice Joly et les maires Dominique Dhumeaux, Cécile Gallien et Pierre Jarlier – contenait 200 propositions. Que le gouvernement, en retour, ait décidé de « donner suite à 173 d’entre elles »… « c’est un assez bon ratio ! », a plaisanté le chef du gouvernement. « C’est la première fois qu’on a un plan aussi large pour les territoires ruraux », assurait-on peu avant à Matignon.
Un plan à construire dans la durée
Avant d’évoquer les objectif et les mesures de ce « plan », Edouard Philippe a tenu à en dépeindre le paysage. Tout d’abord en relevant un certain nombre d' »erreurs » à éviter dès lors que l’on parle de ruralité. « Ne pas confondre les politiques rurales avec les politiques agricoles », sachant qu’elles « ne sont pas radicalement identiques », que « neuf personnes sur dix résidant à la campagne n’ont aucun lien avec l’activité agricole » et que « la conciliation entre monde agricole et monde rural non agricole est un sujet redoutablement complexe ».
Le deuxième écueil serait d' »aborder les questions de ruralité sous un angle exagérément institutionnel ». Cité en troisième lieu, « les caricatures » : « Il y a des territoires ruraux qui vont très bien et il faut le dire (…), et il y en a qui sont en grande difficulté » et « on oublie trop souvent que le gros de l’exode rural est derrière nous » même s’il existe, « certes, des régions de déprise ». Des écueils… et une « nécessité » : celle de « s’inscrire dans la durée » et celle d’une « certaine forme d’humilité ».
De fait, parler d' »agenda » sous-entend bien que tout ne sera pas pour tout de suite. Pour l’heure, nombre des mesures nouvelles listées ne comprennent pas de précision de calendrier, y compris celles qui nécessiteront un véhicule législatif ou réglementaire. Edouard Philippe a d’ailleurs préféré parler au futur : « Nous allons construire un plan complet ».
L’entourage du Premier ministre a en tout cas précisé que tout cela nécessitera évidemment un suivi et qu’à ce titre, un comité interministériel de la ruralité se réunira en « début d’année prochaine ».
On constatera en outre que l’inventaire diffusé par Matignon (dossier en lien ci-dessous) consiste pour une bonne part à mettre en valeur l’apport pour le monde rural de dispositifs déjà lancés ou annoncés par ailleurs, qu’il s’agisse par exemple du déploiement des Micro-Folies ou des campus connectés.
Valoriser les aménités écologiques des territoires ruraux
Pour le chef du gouvernement, la démarche doit répondre à quatre grands objectifs. Le premier d’entre eux : « Faire des territoires ruraux des territoires de pointe de la transition écologique ». Pour cela, Edouard Philippe a repris à son compte l’idée de la mission consistant à donner un prix aux « aménités » environnementales et écologiques des territoires ruraux. Il s’agit selon lui de « mieux prendre en compte le capital naturel de nos campagnes », cette « richesse » qu’il convient de « valoriser ». On en n’est qu’aux balbutiements puisque cela va se traduire dans un premier temps par le lancement d’une « mission » sur le sujet. Il a toutefois cité en exemple les coopérations territoriales telles que les contrats de réciprocité : dans le cadre de ce type de coopérations urbain-rural, l’apport des espaces naturels pour les populations urbaines pourrait être mieux pris en compte. La mission Agenda rural l’avait elle-même suggéré.
« Modèle écologique » encore avec la « lutte contre l’artificialisation des sols ». « Il n’y a pas cinquante moyens », a prévenu Edouard Philippe, évoquant à la fois les zones commerciales, les zones de logistique, les lotissements périurbains… Sur le volet habitat, l’enjeu est bien de « privilégier la rénovation du bâti existant », notamment dans le cadre des opérations de revitalisation de territoires (ORT) et grâce à diverses incitations telles que le « Denormandie dans l’ancien ».
Il a par ailleurs fait savoir que le ministre de l’Agriculture lancera bientôt une concertation sur le foncier agricole. Et qu' »après les élections municipales sera lancée une nouvelle génération de contrats de ruralité qui incluront tous systématiquement un volet transition écologique, en articulation avec les contrats de transition écologique ». Le dossier diffusé par Matignon mentionne en outre divers dispositifs en faveur de l’agro-écologie, de la forêt, de la production locale d’énergie… et indique que les dotations d’investissement (DSIL et DETR) pourraient être « prioritairement mobilisés vers les projets vertueux en matière d’écologie ».
Commerces : préemption, exonérations…
Deuxième axe mis en avant par Edouard Philippe : « l’attractivité des territoires ruraux », liée « à la qualité des services, aux facilités ». Il a à ce titre évoqué le nouveau plan en faveur des « petites centralités » annoncé la veille lors d’un autre congrès d’élus, celui de l’Association des petites villes à Uzès. Ce petit frère du plan Action cœur de ville devrait bénéficier à entre 800 et 1.000 villes, a-t-il été précisé ce 20 septembre à Uzès, soit un quart environ des « petites villes » (lire notre article de ce jour). Le Premier ministre semble toutefois ne pas en exclure « les toutes petites villes ou les gros villages ».
Matignon y ajoute le lancement d’un « Fonds d’ingénierie patrimoine » pour soutenir les projets d’investissements touristiques à valeur patrimoniale notamment dans les territoires ruraux.
Qui dit attractivité dit… « soutien au commerce local ». L’annonce par Edouard Philippe de « créer de nouvelles licences IV dans les petites communes qui n’en disposent pas » a évidemment d’emblée attiré l’attention… En sachant qu’il s’agirait de licences non transférables au-delà du périmètre de l’intercommunalité, afin d’éviter tout départ de débit de boissons – « lieu d’échanges et de convivialité » – vers des territoires plus attractifs.
Mais d’autres mesures en faveur du petit commerce ont aussi été énoncées. Dont l’instauration de « mécanismes de préemption par la commune en cas de fermeture du dernier commerce » et « la possibilité pour les communes rurales de moins de 3.500 habitants disposant d’un nombre réduit de commerces de voter des exonérations fiscales » (CFE et taxe foncière). L’Etat prendrait à sa charge un tiers de cette exonération.
Une simplification des règles en matière de sécurité incendie et d’accessibilité est par ailleurs envisagée.
S’agissant de l’accès au numérique comme condition de l’attractivité d’un territoire, Edouard Philippe a rappelé que l’attribution des fréquences pour la 5G comportera une obligation de couverture des zones rurales. Matignon y ajoute dans un premier temps le déploiement complet de la 4G d’ici 2020, la résorption des zones blanches de téléphonie mobile et le développement des solutions de THD satellite.
300 maisons France Services en 2020
Troisième objectif : « rapprocher » les services essentiels. Si le Premier ministre a en premier lieu développé la thématique de l’accès aux soins, ce fut avant tout pour rappeler un certain nombre de mesures et d’orientations portées par « Ma Santé 2022 ». Au-delà de la suppression du numerus clausus, il a ainsi mentionné le développement des maisons de santé, les aides à l’installation de médecins en zones sous-denses, les hôpitaux de proximité, les futurs assistants médicaux, le rôle croissant que pourront désormais jouer les pharmaciens ou les infirmiers… « Il faut que nous produisions des professionnels de santé », a-t-il résumé.
Il a évidemment été question des maisons France Services, ces héritières des maisons de services au public (MSAP). Avec un rappel de l’objectif quantitatif : « 300 maisons opérationnelles » en 2020. Comme il l’avait fait à Uzès, Edouard Philippe a aussi insisté sur le saut qualitatif attendu, glissant une fois encore qu’il ne suffira pas de « repeindre en bleu blanc rouge » l’existant mais bien de mettre en place « une nouvelle façon d’accéder aux services », avec « les bons horaires », avec « quelqu’un capable d’aider les usagers ». Sa circulaire de juillet dernier sur le sujet avait déjà insisté là-dessus.
Il est aussi une nouvelle fois revenu sur un sujet qui fait beaucoup parler de lui actuellement, à savoir les fermetures de trésoreries, en rappelant que seules 80 d’entre elles ont fermé en 2019 (contre 1.200 entre 2010 et 2017) et en réaffirmant qu’en 2020, « aucune trésorerie ne sera fermée sans l’accord des maires concernés ».
Vers une nouvelle géographie prioritaire
S’agissant des services et soutiens dont peuvent bénéficier les maires ruraux eux-mêmes, Edouard Philippe a reconnu que ces élus devaient bien souvent se livrer à une véritable « course d’orientation ». Face à cela, la principale réponse sera naturellement la future Agence nationale de cohésion des territoires, conçue, a-t-il redit aux maires, « pour vous accompagner vers la bonne ingénierie ».
Il a aussi évoqué le projet de loi Engagement et proximité, un texte notamment conçu pour « que les maires redeviennent des acteurs centraux de l’intercommunalité ». Applaudissements dans la salle.
Comme l’avait proposé la mission Agenda rural, l’exécutif prévoit par ailleurs d' »engager en 2020 un travail de définition d’une nouvelle géographie prioritaire pour les territoires ruraux ». Celle-ci « viendra se substituer dès 2021 aux actuelles zones de revitalisation rurale » (ZRR). Il a au passage été décidé que les 4.000 communes censées « sortir » du dispositif ZRR au 1er juillet 2020 pourront continuer à en bénéficier jusqu’à la fin de l’année 2020, soit jusqu’à l’entre en vigueur du nouveau dispositif.
Enfin, Edouard Philippe a évoqué l’enjeu de la sécurité, qui avait été mis en lumière par la mission. Un enjeu qui n’est « pas seulement urbain », a-t-il insisté, citant cambriolages, violences, vols ou dégradations touchant des exploitations agricoles… Face à cela, l’idée est notamment de « décliner au niveau de la gendarmerie ce qui a été mis en place dans certains espaces avec la police de sécurité du quotidien ».
Initiatives en faveur des jeunes ruraux
Si le Premier ministre ne s’y est pas attardé, un autre axe fort de ce plan vise la jeunesse, avec à la fois des mesures nouvelles et la déclinaison de dispositifs déjà lancés : le déploiement en 2020 d’une plateforme regroupant les services offerts aux jeunes au niveau national (comme le permis à 1 euro) et local (cartes de réduction pour les transports…) ; la création de 15.000 services civiques dans les territoires ruraux ; les campus connectés permettant de poursuivre des études supérieures à distance ; le renforcement des moyens de l’Education nationale selon « l’éloignement ». Les jeunes ruraux pourront aussi par exemple bénéficier d’un accès facilité aux stages de 3e et à l’alternance via un programme jusque-là réservés à ceux issus des quartiers de la politique de la ville.
Sur le volet formation et insertion, il a entre autres été prévu que 40.000 personnes en ZRR bénéficient de l’insertion par l’activité économique (IAE) d’ici à 2022, contre 28.000 actuellement.
« Cet agenda rural, il est pour nous essentiel » car « il faut oser s’émanciper de 40 ans de jacobinisme qui ont corseté le pays », avait dit Vanik Berbérian en ouverture du congrès. A l’issue de l’intervention du Premier ministre, le président de l’AMRF a assuré se réjouir de « pistes qui vont être développées et qui vont être mises en musique concrètement sur le terrain ».
Le dossier de Matignon « Plan d’action en faveur des territoires ruraux »