Un programme pour donner un nouvel horizon à la montagne

Il n’y en avait pas eu depuis les grands plans Neige des années 1960-1970 : un nouveau programme national pour la montagne piloté par l’ANCT est en train d’être peaufiné. Après la ruée vers l’or blanc, l’enjeu est aujourd’hui d’accompagner la diversification économique et touristique des communes de montagne. Si la question de l’avenir des stations de ski de basse altitude se pose avec acuité, elle ne sera pas exclusive. Le secrétaire d’État à la Ruralité, Joël Giraud, défend une vision plus large qui ne se limite pas au « tourisme quatre saisons ».

Annoncé discrètement en début d’année, le programme national Montagne devrait sortir des limbes à un moment où, face à l’annonce de fermeture des domaines skiables pour les vacances de fin d’année, les stations de ski et les élus de la montagne nourrissent de vives inquiétudes pour leur avenir – inquiétudes qui ont donné lieu à la diffusion d’une tribune entre autres signée par trois associations d’élus, dont l’Anem. Le Premier ministre a officialisé ce programme, en vidéo, le 15 octobre devant les élus de la montagne qui tenaient leur congrès à Corte. Ce programme sera lancé « en 2021 » et « permettra de mieux accompagner les mesures du plan de relance et de les mettre en cohérence avec un certain nombre de dispositifs et de programmes existants. (…) Il apportera un appui très opérationnel pour les chantiers de développement, notamment dans le domaine du tourisme », leur a-t-il dit. Quatre ministères sont impliqués (Cohésion des territoires, Tourisme, Ruralité et Transition écologique) et l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) en assurera le pilotage en coordination avec les commissariats de massifs.

Pour Joël Giraud, le secrétaire d’État aux Ruralités, originaire des Hautes-Alpes, il s’agit de « faire de la diversification économique et touristique sur les territoires [de montagne] et pas seulement sur les stations de sport d’hiver ». « Je dis bien tous les territoires », a-t-il insisté devant les sénateurs, le 5 novembre. Ce nouveau programme national aura ainsi un « prisme beaucoup plus large » que la seule question « de la diversification de l’économie du ski ». Même si l’avenir des stations de ski de moyenne altitude, de plus en plus confrontées au manque d’enneigement, est un enjeu majeur. Depuis les plans Neige des années 1960-1970 et la ruée vers l’or blanc, à une époque où la question de l’enneigement ne se posait pas, la situation a radicalement changé. La livraison de neige par hélicoptère dans la station pyrénéenne de Luchon Superbagnères l’hiver dernier avait marqué les esprits. Elle n’a fait que révéler au grand public une pratique courante : le transport de neige par camions entiers.

Vulnérabilité croissante

Le programme s’appuiera sur des « diagnostics territoriaux très précis », à l’image du travail commandité par le département de l’Isère pour envisager l’avenir de ses stations à horizon 2025-2050, explique-t-on à l’ANCT. Ce travail inédit, publié fin 2018, s’appuie sur les scénarios du Giec et se veut un outil « d’aide à la décision pour les investissements ». Il souligne la forte dépendance du département dans l’économie de la neige. « La montagne, à elle seule, concentre 60% du chiffre d’affaires annuel des entreprises touristiques iséroises dans les secteurs de l’hébergement et des activités de loisir. (…) En Isère, 23.000 emplois directs et indirects sont liés à l’activité touristique. En montagne, ce sont 53% des emplois qui sont liés au tourisme », insiste en préambule du document Chantal Carlioz, la présidente d’Isère Tourisme. Selon cette étude, la part des surfaces des domaines skiables équipés pour la production de neige de culture dans l’Isère va passer de 27% en 2017 à 42% en 2025. Elle conclut que le ski n’est pas vraiment menacé à horizon 2050, à condition d’investir dans la neige artificielle. Ce qui risque de grever les budgets des petites stations à l’équilibre fragile : la neige de culture va mobiliser « près de 45% des investissements planifiés dans les moyennes et petites stations contre 28% pour les grandes et très grandes ». En 2018, la Cour des comptes tirait le signal d’alarme sur la « vulnérabilité croissante » des stations des Alpes du Nord de basse altitude et appelait à un « nouveau modèle de développement » fondé sur un tourisme de proximité.

168 stations fermées sur 584

Le géographe Pierre-Alexandre Métral doctorant à l’université de Grenoble Alpes, a entrepris un vaste état des lieux de la situation, sachant qu’il n’existe aucune donnée officielle. Il recense 168 stations fermées depuis 1951 sur 584. Ironie de l’histoire, la première station à avoir fermé est aussi la première à avoir ouvert dans les années 1920 : le téléphérique des Glaciers, à Chamonix. « C’est surtout à partir de 1970 que les fermetures deviennent récurrentes. Depuis, on est à un rythme de une à trois fermetures par an. Mais il s’agit à 90% de micro-domaines skiables avec deux ou trois téléskis », temporise-t-il. « Il n’y a jamais eu de grand boum », sauf au début des années 1990, après trois hivers successifs sans neige à la fin des années 1980. « Depuis une vingtaine d’années toutefois, on commence à voir des stations de taille moyenne, ce qui pose le problème de reconversions lourdes », poursuit-il. Après un dernier hiver sans neige associé à la crise du Covid, la plus vieille station des Vosges, Ventron, a annoncé début novembre qu’elle jetait l’éponge après soixante ans de service. Ces fermetures ne sont pas seulement liées à la question de l’enneigement. « Les stations ferment parce qu’elles ne sont pas rentables, et ce pour plusieurs raisons, explique le géographe. Les petites stations souffrent de la concurrence d’autres domaines, certaines ont été mal implantées : trop loin, trop haut, trop bas… Il y a aussi des tendances de fond : le ski séduit un peu moins les jeunes, il n’y a pas eu de renouvellement, et il est confronté à la concurrence d’autres activités, l’héliotropisme et les vacances au soleil. »

« Les perspectives d’enneigement vont bien au-delà de l’altitude, elles dépendent de la latitude, de l’exposition, de la géologie, le tout avec des échéances plus ou moins longues », précise également Frédérique Delaugère, cheffe de projet Montagne à l’ANCT.

Offre de services

Mais Joël Giraud, longtemps maire de L’Argentière-la-Bessée, qui a pris le programme en route, veut élargir le spectre. « L’économie d’un territoire dépend d’autres facteurs que le tourisme stricto sensu », a-t-il souligné devant la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée, le 5 novembre. « On a un peu trop mené de diversification exclusivement sur les stations de ski : comment faire un tourisme quatre saisons… » « Mettre en place des crédits pour la transformation de l’agriculture ou des produits transformés sur un territoire c’est aussi intéressant que de mettre une luge d’été dans une station de ski, peut-être quelque fois un peu plus », a-t-il ironisé.  « On diversifie un peu mieux dans la montagne quand, par exemple, on fait une reconversion des établissements militaires pour faire des fromageries, des caves à fromage », a-t-il dit, faisant allusion au fort des Rousses, dans le Jura, connu pour son célèbre comté.

Dans ce contexte, l’ANCT devra travailler à proposer d’ici la fin de l’année une offre de services globale avec des partenaires comme Atout France, le Cerema, la Banque des Territoires, l’Anah, l’Ademe, Action logement… Même la gendarmerie est consultée ! Cette offre de services sera pilotée par les commissaires de massifs et les préfets de département. « Au départ on était sur une vision assez touristique. Mais on intègre aujourd’hui la gestion des forêts, la gestion de l’eau, la mobilité, le numérique, l’accès aux services publics… Tous les facteurs de difficulté que rencontrent les territoires de montagne », confirme Éric Guilpart, chargé de suivre le programme à la Banque des Territoires.

Le mode de sélection n’est « pas définitivement arrêté », nous confie-t-on à l’ANCT. Mais les cabinets de Jacqueline Gourault et Joël Giraud sont « très réticents à la logique d’appels à projets qui bénéficie trop souvent aux collectivités qui ont une forte ingénierie ».

« Une fermeture n’est pas forcément gravissime »

Une centaine d’intercommunalités ou de syndicats intercommunaux – puisque c’est l’échelle choisie – pourraient être retenus. Les collectivités devront concevoir leur « projet de territoire » dans une logique de transition voire de reconversion. « Cette crise sanitaire a révélé un certain nombre de choses, comme la résilience des territoires peu denses… Ce qui aide à conforter des modèles alternatifs de développement », souligne Frédérique Delaugère. « Se pose déjà la question d’un certain nombre de friches, que ce soit des équipements ou des bâtiments comme des colonies de vacances abandonnées. » La loi Montagne de 2016 a fixé de nouvelles obligations aux opérateurs. Ainsi « lorsque des remontées mécaniques n’ont pas été exploitées durant cinq années consécutives », le préfet du département mettra en demeure l’exploitant de procéder à « leur mise à l’arrêt définitive ». En outre, les opérateurs doivent remettre en état les sites « dans un délai de trois ans à compter de la mise à l’arrêt définitive de ces remontées mécaniques ». Seul problème : cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Mais le ton est donné. Domaine skiables de France s’est ainsi engagé début novembre à déployer une stratégie de démantèlement des installations obsolètes à partir de 2021. L’objectif : démanteler trois sites par an à partir de 2023.

Pierre-Alexandre Métral identifie plusieurs stratégies de reconversions (voir encadré ci-dessous). Selon lui la fermeture d’une station « n’est pas forcément gravissime ». « Au contraire, elle peut conduire à faire un choix, à sortir d’une logique d’endettement pour tenter de maintenir une activité non rentable. Avec de la créativité, une fermeture peut déboucher sur des innovations très positives. »

Quatre trajectoires de reconversion pour les stations de ski

Que deviennent les stations de ski qui ont dû fermer ? Le géographe Pierre-Alexandre Métral identifie « quatre trajectoires de reconversion ».  La « fin du ski est la fin d’une ère mais le début d’autre chose », résume-t-il. Il y a tout d’abord les petites installations laissées à demeure ou démantelées : les alpages et les forêts regagnent leurs droits…  Autre scénario : la reprise d’activité, souvent de manière alternative, par des habitants ou des associations, avec un financement participatif. Une ou deux remontées mécaniques peuvent rester, parallèlement au développement d’activités quatre saisons. Après avoir fermé en 2018, la station pyrénéenne de Puyvalador a ainsi pu reprendre, à l’initiative d’un entrepreneur et d’une association locale. Ils ont choisi de conserver les petits téléskis du bas de la station en ciblant les débutants. Troisième reconversion : les « migrations d’agrément ». Des périurbains décident de s’installer dans une station au foncier devenu attractif, celle-ci se transformant en « hameau de montagne ». C’est le cas de la station Saint-Honoré 1500 en Isère, où vivent une quarantaine d’habitants qui font la navette avec Grenoble. Ce « peuplement » s’inscrit dans une dynamique métropolitaine autour des agglomérations de montagne telles qu’Annecy, Grenoble ou Chambéry.

Enfin, certaines stations se reconvertissent en bases de loisirs, en utilisant les remontées ou non, à l’image d’Orange Montisel, en Haute-Savoie, située à 1.100 mètres d’altitude. On y pratique aujourd’hui la luge d’été.

À noter que le fabriquant de skis Rossignol a développé un service d’ingénierie touristique baptisé Outdoor Experiences qui propose une aide à la reconversion aux collectivités. Fermée depuis 2013, la station du Puigmal, dans les Pyrénées-Orientales, a ainsi pu rouvrir cette année avec des activités gratuites autour des quatre saisons : ski de randonnée, VTT, trail, marche nordique… Le projet a bénéficié d’une aide du département et de la région. En Haute-Savoie, Drouzin-le-Mont au col du Corbier, a pris un virage similaire. À l’arrêt depuis 2012, elle a décidé de démonter toutes ses remontées pour se tourner vers un tourisme vert, toujours avec l’assistance de Rossignol et des financements du département et de la région : ski de randonnée et ski de fond, trail, marche nordique, VTT à assistance électrique.

 

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