Santé mentale des jeunes : pour une grande cause nationale

De plus en plus de jeunes connaissent un état dépressif, certains allant jusqu’à attenter à leurs jours. En séance publique, le 17 janvier, les sénateurs ont adopté la proposition de résolution de la sénatrice Nathalie Delattre (RDSE-Gironde) invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale. La nouvelle Ministre, Catherine Vautrin s’est engagée pour que cette question soit une priorité nationale.

Les études sur la santé mentale recensent plusieurs marqueurs : l’adolescence, période difficile de changement ; l’isolement des étudiants coupés de leurs proches ; les violences morales, physiques et sexuelles dans et hors de la famille ; le harcèlement scolaire, démultiplié par les réseaux sociaux, qui fait des milliers de victimes, jusqu’à conduire au suicide. Autres causes : l’addiction aux écrans, source d’isolement et d’accès sans filtre à des images effrayantes, ou encore l’éco-anxiété.

Les inégalités, sociales ou de genre, jouent aussi leur rôle. La précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. Dans plusieurs territoires, les jeunes n’ont pas de médecin traitant. En raison de la prévalence de la violence faite aux femmes, la dépression touche davantage les jeunes filles.

Tous ces éléments conduisent à un constat clinique dramatique : troubles du sommeil, phobie scolaire, anorexie, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, schizophrénie, addictions, voire suicide.

Les chiffres de Santé publique France sont implacables. En 2021, 43 % des étudiants ont connu un état de détresse psychologique, contre 29 % l’année avant le covid. Le nombre de jeunes souffrant de dépression est passé de 11,7 % en 2017 à 21 % en 2021. En septembre 2023, les passages aux urgences pour gestes suicidaires et troubles de l’anxiété ont nettement augmenté chez les moins de 18 ans, et près de 5 % d’enfants ingèrent des psychotropes. Depuis 2014, les prescriptions ne cessent d’augmenter.

Prévenir dès le plus jeune âge

Selon la Cour des Comptes, l’état de santé psychique des enfants et des adolescents est l’un des principaux déterminants de leur santé future : 35 % des pathologies psychiatriques adultes débuteraient avant 14 ans, 48 % avant 18 ans et 62,5 % avant 25 ans, ce qui confère à la pédopsychiatrie, outre sa dimension thérapeutique immédiate, une dimension majeure de prévention en santé à long terme, relève la Cour des comptes dans son rapport publié en mars 2023.

En juin 2022, la Défenseure des droits invitait à mettre en place un plan d’urgence. Le ministre de la santé d’alors indiquait que la santé mentale des jeunes devait être une priorité du Gouvernement.

Les dispositifs mis en place ces dernières années doivent être poursuivis et renforcés : MonParcoursPsy pour les moins de 18 ans, les Maisons des Adolescents, les Points Santé dans les Missions locales, le Fil Santé Jeune (FSJ) d’aide à distance et les campagnes nationales de sensibilisation, « En parler, c’est déjà se soigner » ou recontact VigilanS.

La pédopsychiatrie parent pauvre de la médecine

La psychiatrie est le parent pauvre de la médecine. On compte seulement 600 pédopsychiatres pour près de 10 millions d’enfants et 800 médecins scolaires, soit un médecin pour 15 000 élèves. Si la France se situe dans la moyenne des pays européens, l’offre d’équipements ambulatoires et hospitaliers du secteur infanto-juvénile est répartie de façon inégalitaire sur le territoire. Au sein de cette offre, les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ), principal point d’entrée pour un parcours de soins, sont dépassés par les demandes.

Mme Delattre a présenté une expérimentation pionnière, venue d’Australie, actuellement en cours à la faculté de Bordeaux pour former des étudiants « sentinelles ».

Parce que les troubles mentaux émergent tôt dans la vie et s’installent le plus souvent avant 18 ans, elle a considéré que la médecine scolaire devait être un outil indispensable de dépistage et d’orientation, mais il lui faut des moyens. Face à la pénurie de médecins scolaires, il est urgent de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire, notamment en revalorisant les salaires.

Mme Delattre a donc demandé que sa proposition de résolution conduite avec les autres sénateurs soit une invitation à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, pour donner de la visibilité à ce fléau et briser les tabous.

Réponse de la ministre

Mme Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités a répondu que la santé mentale des plus jeunes sera une priorité du Gouvernement, conformément au souhait du Président de la République.

Après avoir rappelé son déplacement avec le Premier ministre au CHU de Dijon : dans des services de pédiatrie et psychiatrie, elle a échangé avec les professionnels sur les réponses à apporter à la diversité des situations, du jeune qui a besoin de décompenser quelques heures aux cas nécessitant une prise en charge lourde.

Observant les insuffisances de l’offre de soins, elle a reconnu que la feuille de route en santé mentale, lancée par Agnès Buzyn, a ouvert la voie. Les engagements pris lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie s’étendent jusqu’en 2026. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 apporte de nouvelles réponses, ainsi que des moyens.

Mais elle s’est accordée à aller plus loin, notamment en mettant en place une politique de prévention ambitieuse. Elle a annoncé vouloir travailler avec la ministre de l’Éducation nationale sur l’évolution de la médecine scolaire. C’est un premier outil de prévention, qui permet de toucher l’ensemble des élèves, mais aussi d’avoir un contact avec leurs parents. MonParcoursPsy est une première réponse pour les étudiants, avec huit consultations.

Plus largement, l’attractivité de ces métiers doit être renforcée. « À quoi bon un numerus apertus si les étudiants ne choisissent pas la psychiatrie ? Le nombre de PU-PH en psychiatrie a été augmenté, mais il n’y en a pas partout sur le territoire. Nous devons adapter nos outils, comme les projets territoriaux de santé. » a-t-elle fait valoir.

Elle a conclu en soulignant le besoin de travailler avec tous les acteurs publics et privés, le médico-social et les éducateurs, les familles et les aidants. « Nous pouvons commencer par un CNR tout en nous appuyant sur les travaux existants, comme ceux de la Fédération hospitalière de France. Mais il faut aboutir à des actions concrètes, dans l’écoute et le dialogue ». a-t-elle précisé.

 

Accéder à la proposition de résolution adoptée :

https://www.senat.fr/leg/tas23-051.html

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