Situation des Finances publiques locales : les sénateurs organisent un débat

Pour la deuxième année consécutive, les sénateurs ont organisé, à la veille des travaux sur le PLF 2024, un débat sur la situation des finances locales. Celui-ci s’est tenu en présence de Thomas Cazenave, Ministre délégué chargé des comptes publics. Retour sur les temps forts de cet échange.

  • Jean François HUSSON, rapporteur général du Budget

« Je me réjouis que le Sénat ait obtenu l’abandon des pactes dits de confiance, après les contrats de Cahors. Les collectivités ont démontré le sérieux de leur gestion : elles continueront de le faire, car elles sont responsables de l’efficacité des services publics locaux devant leurs électeurs.

J’espère que M. le ministre ne nous racontera pas que leur situation serait globalement favorable et que le Gouvernement serait le seul à se soucier de celles qui seraient dans le besoin… Ce discours convenu ne reflète pas la réalité. Bien maigre est le soutien apporté à la quinzaine de Départements confrontés à une impasse financière, du fait notamment de l’effondrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Je proposerai dans le cadre du PLF une dotation exceptionnelle de 100 millions d’euros pour leur venir en aide.

L’architecture globale du financement des collectivités est devenue illisible et inefficace. Le chantier prioritaire est la réforme de la DGF : quand allez-vous vous y atteler ? Vous nous trouverez à vos côtés pour bâtir un système plus simple et plus juste. »

  • Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des Comptes publics

« À la fin de l’année dernière, la Cour des comptes a estimé que la situation financière des collectivités territoriales était globalement satisfaisante : épargne supérieure de 9 milliards d’euros à son niveau de 2017, capacité de remboursement en hausse, nombre de communes en difficulté en baisse de 23 % par rapport à 2019.

Je n’ignore pas que des élus ont du mal à boucler leurs budgets. Je souhaite que le rapport de la Cour des Comptes sur les finances locales s’enrichisse l’année prochaine d’une analyse de la diversité des situations, en vue de construire des diagnostics partagés.

La situation est moins bonne pour les Départements, affectés par la baisse des DMTO. La Première ministre a annoncé une aide de 230 millions d’euros pour les Départements les plus fragiles.

En 2024, nous voulons réduire le déficit – une première étape. Le PLF n’en est pas moins favorable aux collectivités territoriales, dont nous voulons soutenir l’investissement. Le fonds vert est ainsi porté à 2,5 milliards d’euros. Le plan France Ruralité permettra d’améliorer l’ingénierie dans les Départements. Entre la DGF, le fonds biodiversité et le FCTVA, les concours financiers aux collectivités augmenteront de plus de 1 milliard d’euros. »

 

  • Financement de la transition écologique

Grégory Leblanc, sénateur écologiste du Maine-et-Loire

« La transition écologique nécessitera des moyens considérables ; l’I4CE et La Banque postale évaluent à 77 milliards d’euros d’ici 2030 les investissements nécessaires pour respecter notre stratégie bas-carbone.

Comment comptez-vous faire évoluer la fiscalité locale pour répondre aux enjeux de transition écologique ? »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« Le fonds vert sera doté de 2,5 milliards d’euros, un effort inédit. Plus largement, nous devons rassembler les financements, de l’État, des collectivités, de la Caisse des dépôts, des certificats d’économies d’énergie et de la responsabilité élargie des producteurs. Dans cet esprit, nous présenterons au Parlement au printemps prochain la première stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. »

  • Finances locales et avenir de la Décentralisation

Stéphane Sautarel, sénateur LR du Cantal

« La situation financière des collectivités territoriales dans le contexte de la reprise post-pandémie est très contrastée ; il faut plus que jamais sanctuariser la péréquation. La situation se dégrade rapidement sous l’effet de l’inflation, de la hausse du point d’indice et de la baisse des recettes fiscales. L’année 2024 sera compliquée, alors anticipons !

Les Départements sont de nouveau confrontés à un effet ciseau délétère, en raison de la décorrélation entre leurs ressources et leurs compétences. L’autofinancement des collectivités est en grand danger ; c’est le vrai sujet. Alors qu’elles ont un rôle décisif à jouer, ne prenez pas le risque de casser le moteur social de proximité. Allez-vous leur donner de la liberté et de la lisibilité ? « 

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« S’agissant de la liberté d’action, je suis très favorable à un nouvel acte de décentralisation qui clarifie les responsabilités, comme le Président de la République l’a évoqué dans le cadre des rencontres de Saint-Denis. L’entremêlement actuel des compétences nuit à la responsabilité des élus. Allons vers une décentralisation de clarté. »

  • Financement du bâti scolaire et de la voirie

Jean-Marie Mizzon, sénateur UC de Moselle

« Les collectivités territoriales doivent faire face à un mur d’investissements. J’évoquerai la rénovation du bâti scolaire : d’après Mme Faure, il faudra 55 milliards d’euros d’ici à 2030 pour atteindre le premier palier défini par le décret tertiaire. Des aides sont-elles prévues pour les collectivités ? Non, hormis le fonds vert, qui n’est pas extensible à l’infini…

Les aides forment un maquis, quand elles existent – mais pour la voirie, par exemple, il n’y en a presque plus. Allez-vous prévoir une aide digne de ce nom ? La voirie n’est pas un investissement dépassé ! »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« Le bâti scolaire est un chantier considérable. La Caisse des dépôts et consignations a lancé un programme spécifique, EduRénov. Le fonds vert peut intervenir aussi, de même que le tiers financement. Nous avons enrichi l’arsenal au service des collectivités.

Quant à la voirie, elle relève de la responsabilité des Départements. Nous réfléchirons à des dispositifs de secours. »

  • Autonomie financière des collectivités territoriales

Jean-Raymond Hugonet, sénateur LR de l’Essonne

« L’autonomie financière des collectivités territoriale est devenue une coquille vide. En vingt ans, le modèle de décentralisation à la française a perdu sa pertinence avec la tendance à la recentralisation et la restriction des financements. Réconcilier pouvoir local et pouvoir central serait une œuvre historique : y êtes-vous prêt ? »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« Il n’y a pas de libre administration des collectivités territoriales sans autonomie financière.

L’autonomie financière des communes est passée de 61 % en 2003 à 71 % aujourd’hui ; pour les Départements, de 58 à 75 % et pour les régions, de 41 à 74 % . »

 

Jean-Claude Anglars, sénateur LR de l’Aveyron

« La Cour des comptes a montré que la situation financière des collectivités était moins favorable en 2023 qu’en 2022, en raison de l’inflation, mais aussi de la suppression de la taxe d’habitation et de l’insuffisante compensation de la CVAE.

La suppression des impôts territorialisés a conduit à augmenter les transferts financiers de l’État, qui atteignent 36 milliards d’euros. L’autonomie fiscale des collectivités a été réduite au fur et à mesure des réformes, qui ont cassé le lien entre fiscalité locale et territoire. À trop poursuivre dans cette voie, on risque d’entraver leur libre administration. »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« La suppression de la taxe d’habitation n’a pas eu d’impact sur la situation financière des collectivités, puisque nous l’avons compensée.

Selon la Cour des comptes, les compensations ont représenté 6 milliards d’euros de plus que si les collectivités avaient continué à percevoir directement ces impôts. Leur situation s’est donc bien améliorée – même si la Cour insiste sur les difficultés des Départements.

Ne confondons pas autonomie financière et fiscale. L’autonomie fiscale est réduite, mais nous n’avons pas amputé l’autonomie financière des collectivités. C’est un ratio clair que nous suivons. Peut-on réussir la libre administration sans autonomie fiscale ? Voyez l’exemple allemand : les Länder sont des collectivités très fortes, avec une forte autonomie financière, mais quasiment pas d’autonomie fiscale. »

  • L’octroi de Mer

Victorin Lurel, sénateur PS de la Guadeloupe

« Depuis quelques mois, une obsession hante les outre-mer : la réforme de l’octroi de mer. Depuis que le Gouvernement a annoncé une réforme en profondeur de cette taxe, les élus ne sont pas tranquilles. Ils craignent des surprises. L’octroi de mer, c’est 1,6 milliard d’euros pour cinq collectivités d’outre-mer et 35 % à 45 % de leurs ressources. Quelles sont vos intentions, vos pistes ? »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« Le comité interministériel outre-mer de juillet a décidé d’ouvrir ce chantier, avec une garantie claire : les ressources des collectivités territoriales ne seront pas impactées. La concertation a été lancée ce jeudi par le ministre Philippe Vigier, chacun pourra s’exprimer. »

 

  • Complexité de la législation fiscale

Fabien Genet, sénateur LR de Saône-et-Loire

« Pour compenser la suppression de la taxe d’habitation, les collectivités ont reçu la part départementale de la taxe foncière. Pour assurer l’équilibre à l’euro près, l’État corrige l’écart en reversant aux communes sous-compensées un montant calculé sur la base d’un coefficient correcteur et prélevé aux communes surcompensées. En Saône-et-Loire, 316 communes sur 564 reversent ainsi 33 millions d’euros de fiscalité locale à l’État, quand 148 reçoivent 5,7 millions.

À force d’empiler les réformes de fiscalité locale depuis vingt ans, assorties de différents mécanismes de compensation, plus personne n’y comprend rien ! »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« En effet, le financement des collectivités territoriales est devenu extrêmement complexe. Nous sommes ouverts à ouvrir un chantier de refonte de la DGF. Il est technique, difficile, mais nécessaire. »

 

  • Situation des Départements

Hervé Reynaud : Sénateur de la Loire

« La situation des Départements n’est pas florissante. Les dépenses de fonctionnement ne cessent d’augmenter. Le produit des impôts diminue en valeur absolue, les DMTO s’effondrent avec le retournement du marché immobilier, tandis que les dépenses, la rémunération des agents, les prestations sociales et les frais financiers augmentent. L’effet ciseau est particulièrement tranchant !

Les dépenses sont structurelles ; les recettes, volatiles et exogènes. La capacité d’investissement des Départements se réduit dangereusement alors que les besoins croissent. Le désengagement de l’État, les transferts de compétences non compensés depuis une dizaine d’années rendent la situation intenable.

Sur quels leviers comptez-vous agir ? Réforme de la fiscalité ? Recentralisation de certaines compétences ? »

 

Thomas Cazenave, ministre délégué

« Nous mesurons les difficultés que traversent les Départements avec la baisse des DMTO, qui avaient atteint des niveaux historiques. Certains avaient fait des réserves, d’autres se retrouvent en difficulté. La Première ministre a annoncé un effort de 250 millions d’euros pour leur venir en aide. La mission confiée à Éric Woerth sur un nouvel acte de la décentralisation sera l’occasion d’y revenir. »

Claude Raynal, Président de la commission des Finances

« L’enjeu est de fournir des services publics de qualité, de faire face au changement climatique et d’aider les plus fragiles. Or les collectivités n’ont quasiment plus de ressources fiscales propres pour assumer leurs compétences. Dès lors, pour bâtir un budget, les élus ont besoin d’une vision pluriannuelle des dotations de l’État, sur la durée du mandat.

La Cour des comptes a mis ces éléments en exergue. Repensons le financement des collectivités et assurons une prévisibilité de leurs ressources, qui doivent être en adéquation avec leurs missions. Le défi est de taille et le succès ne sera possible que par le dialogue et la confiance retrouvée entre l’État et les élus locaux. »

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