Alors que s’ouvre le chantier d’un éventuel « Acte III de la décentralisation », l’appel de Territoires Unis en faveur d’un véritable renouveau de la décentralisation a été porté le 17 octobre 2019 à Bourges, lors du 89e Congrès de l’ADF.
Après le Congrès de Régions de France à Bordeaux le 1er octobre et avant le Congrès des Maires à Paris le 20 novembre prochain, le 89e Congrès de l’Assemblée des Départements de France a été l’occasion pour les trois principales associations d’élus de porter l’appel de Territoires Unis en faveur d’un renouveau de la décentralisation.
Un an après l’Appel de Marseille du 26 septembre 2018 soutenu par le Président du Sénat Gérard Larcher, et alors que la concertation sur le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation et déconcentration) est lancée, des propositions – communes et par association d’élus – ont été formulées. L’ADF a ainsi transmis ses idées sur la transition énergétique, le logement et le médico-social (lire les propositions). Ce 17 octobre 2019 à Bourges, les représentants de Territoires Unis ont mis l’accent sur les grands principes qui les rassemblent et qu’ils souhaitent voir traduits dans la loi et surtout enfin mis en œuvre dans la pratique. Parmi eux, un principe directeur : celui de subsidiarité.
Un « affadissement » de la décentralisation depuis dix ans
« Depuis la révision constitutionnelle de mars 2003, nous avons à peu près tout ce qu’il nous faut pour parvenir à cette subsidiarité ascendante », a assuré Géraldine Chavrier, professeur des universités, spécialiste du droit des collectivités locales. Ainsi, à l’article 72 de la Constitution, figurent bien le principe de subsidiarité et le pouvoir réglementaire local – le législateur pouvant renvoyer directement à ce pouvoir concernant la fixation des modalités d’exercice des compétences des collectivités. « On a tout ce qu’il faut, il nous faut juste une révolution des mentalités », a complété la juriste.
Ce manque de « culture de la décentralisation », ainsi que les reculs observés en la matière, ont été au cœur des échanges de cette table-ronde. « Nous avons vécu une recentralisation progressive », avait déploré dès l’ouverture du Congrès Gérard Larcher. Le « retournement » ayant conduit progressivement à un « affadissement de cette notion » date de la fin des années 2000, au moment de la crise financière, a jugé Philippe Laurent, Maire de Sceaux et Secrétaire général de l’Association des Maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Mais plus globalement de son point de vue, « le mouvement de décentralisation », malgré ses 50 ans d’existence, « n’a pas infusé la culture de l’appareil d’Etat ».
A tel point que « la question est de savoir si le pouvoir central estime que nous sommes des sous-traitants ou si nous avons des responsabilités dans le cadre de nos actions », a lancé Renaud Muselier, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et futur Président de Régions de France. « Nous avons vraiment l’impression d’être les sous-traitants de donneurs d’ordre qui ne payeraient pas leurs factures », a prolongé Michel Autissier, Président du Département du Cher, hôte de ce Congrès. Enumérant une série de déconvenues essuyées par les Régions, Renaud Muselier a considéré que les trois associations d’élus étaient confrontées aux « mêmes difficultés » avec le gouvernement et qu’elles devaient rester soudées.
Retrouver la confiance entre l’exécutif, le Parlement et les territoires
« Peut-on avoir confiance ? Ce qu’on nous donne d’un côté on nous le reprend de l’autre », a ajouté le Président de la Région « Sud », résumant le nœud de l’affaire. « Nous ne pouvons plus faire confiance du tout à la parole d’Etat », a de son côté tranché Philippe Laurent. Et, réciproquement, « il faut que l’Etat nous prouve qu’il nous fait confiance », a ajouté Marie-Christine Cavecchi, Présidente du Val d’Oise. « La première lettre du projet de loi doit être C comme confiance », avait lui aussi insisté Gérard Larcher, invitant à retrouver cette confiance « entre l’exécutif, le Parlement et les territoires ».
« Une nouvelle génération de la décentralisation, c’est plus de libertés et plus de responsabilités locales », pour le Président du Sénat. « Pour avoir plus de responsabilités ou pour mieux les exercer, encore faut-il avoir les moyens », a formulé Dominique Bussereau, Président de l’ADF. Sinon, c’est la « décentralisation insincère » qui condamne les collectivités à « une forme d’inaction » par « étranglement financier », selon les termes du Président du Sénat. « Assurer réellement l’autonomie financière des collectivités territoriales » : il s’agit bien du deuxième « objectif fondamental » mis en avant par Territoires Unis, malgré la réforme fiscale en cours qui ne passe pas.
« Il faut que l’on puisse continuer d’agir », a poursuivi François Sauvadet, Président du Département de la Côte-d’Or et du groupe de la Droite, du Centre et des Indépendants (DCI) de l’ADF. Outre les questions financières, cela passe par un « toilettage » de tous les « irritants de la loi Notre » qui entravent la capacité des collectivités à travailler avec leurs partenaires en bonne intelligence sur le territoire.
Un nouvel élan grâce à Territoires Unis ?
Davantage de souplesse, mais aussi d’expérimentation ? « Nous sommes preneurs d’un nouveau pas », a confirmé André Viola, Président du Département de l’Aude et du Groupe de Gauche de l’ADF, mentionnant l’expérimentation du revenu de base par 18 Départements. L’expérimentation permet d’explorer de nouveaux modèles, tels que la Collectivité unique d’Alsace. « Sans faire 103 statuts pour les 103 collectivités à compétence départementale en France, on peut certainement mettre beaucoup plus de différenciation », a souligné Dominique Bussereau.
Derrière ces évolutions, le véritable enjeu est de parvenir à plus de simplicité, de clarté et d’efficacité pour les citoyens, ont mis en avant les élus. « Ce qui est essentiel, c’est qu’on réponde aux demandes de nos concitoyens sinon on ne reconstruira jamais la confiance », a appuyé Frédéric Bierry, Président du Bas-Rhin. « Les réformes incessantes que nous avons connues ont installé dans notre pays une forme de fatigue démocratique qui a concerné d’abord les citoyens et qui a aussi désenchanté un certain nombre d’élus », a mis en garde le Secrétaire général de l’AMF. « Chaque fois qu’on essaye de simplifier », on se retrouve ensuite dans une « complexité totale », a observé quant à lui François Sauvadet. Malgré les déceptions passées, les élus veulent croire qu’avec Territoires Unis, il sera possible de « changer de méthode », d' »avoir une écoute au niveau national » et de « donner un nouvel élan » à la République décentralisée.