Le 88e congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF) s’est ouvert ce 8 novembre à Rennes sur fond d’informations nouvelles concernant le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA). Le gouvernement avait en effet transmis la veille ses dernières propositions en date sur ces deux dossiers. Pour l’ADF, le compte n’y est pas encore mais il y a du mieux. De quoi participer à l’amorce d’une amélioration des relations État-départements. Dominique Bussereau, le président de l’ADF, a par ailleurs été rejoint par ses homologues de l’Association des maires de France et de Régions de France pour acter la création de l’association Territoires unis. Après l’appel de Marseille, l’accord de Rennes.
Le 88e congrès de l’Assemblée des départements de France qui s’est ouvert ce jeudi 8 novembre à Rennes ne fera finalement pas exception : il ne se déroulera pas sans présence gouvernementale. Jacqueline Gourault devrait intervenir en clôture vendredi. Pourtant, jusqu’à mercredi soir, ce congrès ne figurait à l’agenda d’aucun ministre. L’ADF avait prévenu il y a deux semaines : si les négociations sur le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) devaient ne pas avancer, aucun membre du gouvernement ne serait le bienvenu (voir notre article du 24 octobre).
C’est donc in extremis que les choses ont avancé : mercredi soir, le bureau de l’ADF s’est réuni et a fini par accepter du bout des lèvres les propositions qui venaient de lui être transmises. Dominique Bussereau, le président de l’ADF, s’est fait l’écho jeudi, en ouverture du congrès, du verdict des élus : « Il y a un acompte, un progrès. Mais le compte n’y est pas » « Les présidents de départements semblaient à peu près unanimes là-dessus. Et ont reçu le soutien du président du Sénat, Gérard Larcher, présent en ce premier jour de congrès, qui a lui aussi jugé que si la nouvelle proposition du gouvernement « peut apporter une aide d’urgence, cela ne signifie pas qu’elle règle le problème de fond ».
Le plan Pauvreté mis à contribution…
Sur les AIS, l’offre du gouvernement, exposée dans un courrier signé Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, adressé mercredi à Dominique Bussereau, affiche « un nouveau soutien financier direct de 250 millions d’euros en 2019, avec une montée en charge jusqu’à 323 millions d’euros en 2021 ». Il faut toutefois voir ce que comprend ce total de 250 millions. Il s’agit, d’une part, du « fonds de lutte contre la pauvreté et l’accès à l’emploi » annoncé par Emmanuel Macron en septembre dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Le courrier évoque à ce titre une enveloppe de 135 millions en 2019, 177 millions en 2020 et 208 millions en 2021. Sauf que… « nous avions compris que ce fonds était destiné à financer des actions nouvelles » et non à contribuer à la compensation du reste à charge sur le RSA, a d’emblée fait remarquer Dominique Bussereau. Et le courrier rappelle effectivement que « ces financements seront accordés aux départements volontaires afin d’accompagner la dynamique de leurs dépenses en matière d’accompagnement social ». D’autre part, le gouvernement inclut dans ces 250 millions le fonds d’urgence débloqué chaque année en faveur des départements les plus en difficulté, pour un montant de 115 millions en 2019. Ces 115 millions figurent d’ailleurs déjà dans le projet de loi de finances rectificatives (PLFR) présenté mercredi en conseil des ministres (programme 119). Avec une nouveauté : ce fonds dénommé « fonds de stabilisation » est engagé pour trois ans, ce dont le président de l’ADF s’est félicité. Le courrier lui-même parle d’un « engagement fort », rappelant que les précédents fonds avaient été créés « à titre exceptionnel pour l’année en cours ».
Le gouvernement donne par ailleurs son feu vert au dispositif de péréquation horizontale entre départements – qui ne coûtera rien à l’État – imaginé au printemps dernier par l’ADF. Et prévoit un amendement en ce sens dans le projet de loi de finances. Sauf que l’ADF avait demandé à ce que ce dispositif s’accompagne d’un relèvement du plafond des DMTO. Le Premier ministre avait formulé un accord de principe là-dessus en juin dernier. Mais cette augmentation du taux des DMTO ne fait plus partie du scénario gouvernemental. Le courrier évalue alors à 250 millions les recettes de DMTO pouvant faire l’objet d’une redistribution entre départements, alors que l’ADF misait sur environ 350 millions.
MNA : « Une petite avancée »
S’agissant des MNA, « la situation va devenir intenable », a résumé François Sauvadet, président de la Côte-d’Or et président du groupe Droite centre et indépendants (DCI) de l’ADF. « Les départements prenaient en charge 25.000 mineurs étrangers l’an dernier, ils sont 40.000 cette année », a rappelé Dominique Bussereau, qui considère que les propositions du gouvernement sur les MNA constituent là encore « une petite avancée, un peu d’argent en plus, certains efforts sur la politique régalienne ». « Mais on est encore loin du compte », tranche-t-il.
Au-delà des 141 millions d’euros inscrits dans le PLF au titre du soutien financier de l’État à l’accueil des MNA par les départements, le gouvernement indique que son appui passera par plusieurs dispositions : le surcoût généré par l’augmentation du nombre de jeunes pris en charge ne sera pas inclus dans les dépenses prises en compte dans le cadre de la contractualisation sur les dépenses de fonctionnement ; « la proportion de MNA supplémentaires » admis à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) par rapport à l’année précédente, « qui bénéficie de l’aide forfaitaire de 6.000 euros de l’État, sera portée de 50% à 75% en 2019 » ; le concours de l’État au titre de la phase de mise à l’abri et d’évaluation de minorité sera augmenté.
Fiscalité : un travail commun à engager très vite
Si ce double dossier des AIS et des MNA constituait le principal « point bloquant » à l’approche du congrès organisé par l’Ille-et-Vilaine, beaucoup d’autres sujets de préoccupation ont naturellement été abordés dès jeudi. Parmi eux, la réforme à venir de la fiscalité, tous les orateurs rappelant qu’il est hors de question que les départements soient privés de leur part de foncier bâti pour que celle-ci soit transférée aux communes. François Baroin, le président de l’Association des maires de France (AMF), invité à participer au congrès, a une nouvelle fois pris ses distances avec cette piste : « Nous ne revendiquons pas le foncier des départements », a-t-il insisté.
Le président du Sénat, qui avait été reçu par Emmanuel Macron le 16 octobre dernier en même temps que Dominique Bussereau, a rappelé l’engagement pris ce jour-là par le chef de l’État : que la réforme fiscale soit coécrite dans le cadre d’un « travail collectif » entre les trois principales associations d’élus locaux, en vue d’un texte de loi en juin prochain. « Nous aurons un problème de calendrier », a prévenu Gérard Larcher : « Si la discussion au Sénat doit débuter en avril, cela signifie que le scénario final devra être prêt dès le 15 mars. Nous devons donc dès demain nous mettre autour de la table, simulations à l’appui. »
Il a aussi été question des projets de l’exécutif concernant les rapprochements départements-métropoles, auxquels l’ADF a récemment consacré un colloque et sur lesquels le mot d’ordre reste bien : « non aux mariages forcés ». Les aménagements à apporter à la loi Notr ont par ailleurs été évoqués.
De l’appel de Marseille à l’accord de Rennes
Dans tous les cas, c’est bien l’évolution des relations État-collectivités qui a été interrogée. Car l' »appel de Marseille » en faveur des « libertés locales » lancé le 26 septembre en prélude au congrès de Régions de France résonne encore. Tous conviennent que cette initiative commune des élus a amorcé un changement du côté de l’exécutif : élus reçus à l’Elysée, remaniement, nouvelles modalités pour la Conférence nationale des territoires… mais sur le fond, les principales attentes demeurent.
Jean-Luc Chenut, le président d’Ille-et-Vilaine, avait souhaité en ouverture que ce 88e congrès de l’ADF permette de « confirmer la solidité de l’alliance des territoires scellée à Marseille ». Ce fut effectivement le cas avec la présence à Rennes de François Baroin et d’Hervé Morin, le président de Régions de France, venus parapher un document actant la création de l’association « Territoires unis » devant permettre de pérenniser la démarche commune engagée avec l’appel de Marseille. Après l’appel de Marseille, on parlera donc désormais de « l’accord de Rennes ». Cette association, dont les statuts seront prochainement déposés, organisera notamment dans les jours ou semaines qui viennent des « assises de la décentralisation » – une série de 13 réunions en région pour « nourrir une plateforme commune » de propositions, notamment sur la question des compétences. Un clip vidéo a d’ores et déjà réalisé. La base line de Territoires unis : « Rassemblement des élus pour les libertés locales ».
François Baroin a souligné combien cet accord était inédit, reconnaissant que « depuis 30 ou 40 ans, cela a toujours été chien et chat entre nous ». Hervé Morin a pour sa part exposé quels devront selon lui être les trois principaux chevaux de bataille du nouveau front commun : « être mieux associés aux décisions qui nous concernent », « que soit mis en œuvre le principe de différenciation » tant en matière de compétences que d’organisation des territoires, promouvoir « une nouvelle étape de la décentralisation ».