Déficits publics : les limites du c’est pas moi, c’est les autres

Dans des documents envoyés avant-hier aux parlementaires, les ministres de l’Économie et des Comptes publics imputent une nouvelle fois le dérapage du déficit aux collectivités locales. Pour Départements de France, on atteint ici les limites de l’absurde au regard du fonctionnement de la décentralisation.

Désormais, a-t-on lu, le déficit public de notre pays serait dû au fait que les dépenses des collectivités locales « s’envolent de façon inattendue depuis le début de l’année, bien plus vite que leurs recettes ». Il y a, dans cette assertion, deux points qui nous choquent fortement.

D’abord le caractère « inattendu » évoqué, alors que nous ne cessons, tous niveaux de collectivités confondus, de sonner l’alerte depuis environ 2 ans. Ensuite la mauvaise foi évidente sur le rôle que joue le Gouvernement à l’égard de cette situation.

Il manque en effet aux Départements plus 8 milliards d’euros en 2024 par rapport à 2021, du fait de la chute des DMTO, de la non-indexation des dotations sur l’inflation et de toutes les dépenses imposées par l’État depuis la sortie de la COVID, dont les revalorisations du RSA et les augmentations du point d’indice, mesures certes pertinentes sur le fond, mais généreuses en piochant dans le portefeuille des autres.

DF déplore que les budgets des Départements servent de plus en plus à financer les promesses sociales des Gouvernements successifs. Ce sont désormais plus de 70% de leurs dépenses de fonctionnement (contre 64% il y a 10 ans) qui sont consacrées aux interventions sociales. Le dérapage existe, mais du fait de l’État lui-même.

Ce transfert à peine déguisé n’est pas sans conséquences sur les autres missions dévolues aux Départements au premier rang desquelles l’équilibre ville/campagnes et l’aide aux communes. Départements de France prévient : nous sommes arrivés au bout de nos efforts de gestion. Si l’on continue comme cela, certains Départements se trouveront en cessation de paiement. Les placer sous la tutelle préfectorale ne permettra pas de trouver des recettes nouvelles puisque les Départements ne peuvent plus lever l’impôt !

Chaque année, les Départements mettent en œuvre 12 milliards d’euros d’investissements, dont plus de 1,6 directement au service des communes. Or du fait de la forte dégradation de leur épargne nette et du recul de la participation de l’État au financement des politiques sociales, maintenir à niveau des prestations mises en œuvre par les Départements se fait désormais au détriment de la cohésion territoriale, de l’investissement et donc de l’activité économique. Dans la situation de crise économique que nous traversons, il n’est pas raisonnable de sacrifier l’avenir, en augmentant sans compensation suffisante les dépenses sociales des Départements, au détriment de l’aide aux communes, des investissements nécessaires pour les routes, les collèges, la fibre, l’approvisionnement en eau ou la transition écologique.

« [Cette augmentation] pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 Md€ » – Bruno LE MAIRE et Thomas CAZENAVE

Les Départements sont responsables de moins de 1 % des 3 000 milliards d’euros de dettes publiques. Alors que la dette de l’État est abyssale et que son déficit croît d’année en année, il y a quelque chose d’intellectuellement malhonnête à faire peser sur les collectivités qui doivent, elles, voter des budgets en équilibre, la responsabilité du redressement des comptes publics !

« L’État ne dispose d’aucun levier activable en cours d’année pour faire participer les collectivités à l’effort de redressement des finances publiques » – Bruno LE MAIRE et Thomas CAZENAVE

On se demande ainsi de qui se moquent Messieurs LE MAIRE et CAZENAVE ? S’ils avaient voulu que les collectivités territoriales ralentissent leurs dépenses, ils avaient les moyens d’agir. Il suffisait de commencer par alléger celles qu’ils leur imposent ! Nous arrivons, en réalité, au bout d’une décentralisation bancale qui place les Départements en situation de n’être que des opérateurs de l’État en matière de dépenses sociales.

Entre le reste à charge des Allocations Individuelles de Solidarité (APA-PCH-RSA) pour près de 12 milliards (il n’était « que » de 6,3Md€ en 2012), les augmentations imposées depuis la Covid et la non-indexation de nos dotations sur l’inflation, font que les Départements contribuent déjà à hauteur de près de 17 milliards par an, à la résorption du déficit de l’État.

Faire croire aux Français que l’on allégeait la fiscalité en supprimant la taxe d’habitation a été un mensonge, dans la mesure où l’on n’a pas supprimé les dépenses que cette dernière couvrait. Les Gouvernements se sont livrés à un grand bonneteau de la fiscalité locale pour redistribuer une somme insuffisante entre les différents acteurs, tout en dépensant à leur place.

Ce qui n’est pas financé par l’impôt est financé par la dette. Les ministres semblent s’en rendre compte. Or la responsabilité va de pair avec la liberté de choix.

La solution consiste à rendre aux Départements leur autonomie fiscale et à laisser aux collectivités la liberté de s’administrer !

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