Dans une récente note, les présidents de conseils départementaux défendent leur vision du département de demain : une institution décomplexée, en charge de nouvelles responsabilités et devenue un « partenaire privilégié » de l’État. Novatrices pour la plupart, ces propositions pourraient alimenter la contribution au Grand Débat que les associations d’élus locaux membres de Territoires unis doivent présenter ce 13 mars. Pour Jean-Léonce Dupont, président du Calvados qui a piloté les réflexions du groupe de travail, interrogé par Localtis, ce « new deal départemental » nécessitera « des évolutions culturelles » de la part de l’État.
Le 21 février, devant la quasi-totalité des présidents de département qu’il avait réunis à l’Élysée, le président de la République s’était dit « prêt à discuter d’une nouvelle phase de la décentralisation », mais en posant ses conditions, parmi lesquelles la pleine responsabilisation des acteurs locaux (voir notre article Après les maires, Emmanuel Macron dialogue avec les présidents de département). Dans la perspective d’un éventuel dialogue avec l’État sur un acte III de la décentralisation, l’Assemblée des départements de France (ADF) est déjà prête. Lasse de discuter avec l’État sur le seul financement des AIS, elle a demandé à un groupe de travail représentatif des diverses sensibilités politiques de préparer une plateforme de propositions institutionnelles.
Le 13 février dernier, le bureau de l’association a ainsi adopté à l’unanimité (mais avec l’abstention des élus d’extrême gauche) ce « new deal départemental ». La synthèse des propositions, disponible sur le site internet de l’ADF (voir ci-dessous), s’appuie sur l’idée que, plus de deux cents ans après leur création, les départements sont toujours pertinents. Par sa taille, la collectivité départementale « rend compatible la gestion de proximité, l’efficacité de gestion et la nécessaire péréquation », soutient Jean-Léonce Dupont, président (UDI) du conseil départemental du Calvados, qui a piloté les réflexions du groupe de travail. « Cet équilibre est très important au regard des événements que nous vivons, insiste-t-il. On voit bien que l’ensemble de la population veut des responsables identifiables, proches, mais qui s’occupent quand même d’un périmètre suffisant pour permettre la solidarité intraterritoriale. »
Avec de tels atouts, la collectivité chef de file des solidarités sociales serait en mesure d’assurer le pilotage d’une agence des solidarités coordonnant localement l’ensemble des acteurs publics et privés du champ social et facilitant l’accès du public aux aides sociales, estiment les présidents de département. Elle serait également à même de mettre en œuvre une allocation unique d’insertion et de soutien, ou de devenir « les pivots » du « service public de l’insertion » souhaité par le président de la République. Par ailleurs, les départements entendent conforter leurs responsabilités en matière de solidarités territoriales. Par la généralisation des agences départementales dédiées, ils proposent d' »animer les missions de la future Agence nationale de cohésion des territoires au niveau local » et de mettre en commun leurs dispositifs d’aide aux territoires et ceux de l’État.
Fusions entre collectivités
La mutualisation : placés ces dernières années face à des contraintes budgétaires inédites, les départements ont largement utilisé ce levier. Au point d’en devenir les chantres. Les départements proposent ainsi de porter les « fonctions supports » des structures territoriales telles que les pays, les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et les syndicats départementaux d’électricité. Menées aussi entre plusieurs « administrations publiques locales », ces synergies peuvent aboutir éventuellement à des « fusions ». Les élus départementaux ne voient pas d’inconvénient à de telles initiatives lorsqu’elles sont issues de leurs propres rangs, comme c’est le cas pour les Yvelines et les Hauts-de-Seine.
En application du principe de subsidiarité, qui veut que chaque compétence soit exercée au meilleur niveau possible, les départements se verraient bien confier, « après évaluation financière », des compétences que l’État a conservées dans le champ des compétences qui sont les leurs. Ces revendications ne sont pas nouvelles : elles portent sur la gestion des intendants et des gestionnaires des collèges, la médecine scolaire préventive et les routes nationales.
Indispensable confiance
Les départements « ont déjà pris toute leur part dans le redressement des comptes publics », souligne également la note issue du groupe de travail de l’ADF. Avec la baisse des dotations entre 2014 et 2017, ils ont opéré un tour de vis sur leurs dépenses. Par ailleurs, « de leur propre chef », ils ont renforcé les solidarités financières entre leurs collectivités, souligne Jean-Léonce Dupont, interrogé par Localtis. Cette volonté s’est traduite, rappelle-t-il, par la création par la loi de finances pour 2019 du fonds de soutien interdépartemental de 250 millions d’euros par an, alimenté par les recettes des droits des mutation à titre onéreux (DMTO) perçues par les départements. Sur la réforme de la fiscalité locale annoncée par le gouvernement, les départements posent leurs conditions : elle devra établir « une cohérence certaine entre leurs paniers de recettes et la nature de leurs dépenses, notamment sociales » et permettre la préservation d' »un pouvoir local de taux. »
Ressources très variables d’une année à l’autre, les DMTO ne répondent certes pas à la nécessité pour les départements de bénéficier de recettes prévisibles. Les départements entendent donc pouvoir mettre de côté une partie de ces recettes dans des « fonds locaux de stabilité », lorsque celles-ci sont florissantes, et les débloquer au cours des années de vaches maigres. La proposition semble de bon sens, mais elle n’est « pas dans la culture de Bercy », selon Jean-Léonce Dupont. Le « new deal départemental » nécessitera « des évolutions culturelles » de la part de l’État, en déduit-il, sans nier que les collectivités territoriales devront aussi en passer par là. Une véritable confiance mutuelle entre les acteurs devra finalement être au rendez-vous. Le président du conseil départemental du Calvados l’a souligné auprès du président de la République au cours du déjeuner des présidents de départements qui s’est tenu à l’Elysée, le 21 février dernier. Or, la confiance ne se décrète pas. Elle a été érodée après plusieurs réformes qui ont, ces dernières années, été guidées « plus par une vision idéologique que par une recherche d’efficacité », estime l’élu normand.