À l’approche des élections départementales, Dominique Bussereau, le président de l’Assemblée des départements de France, estime que malgré l’ombre des régionales, localement, ce scrutin bénéficie d’une bonne visibilité. Et d’une bonne compréhension de la part des électeurs. Dans une interview accordée à Localtis, il revient aussi sur le projet de loi 4D. Un texte qui, dit-il, ne « fait pas rêver »… Il y voit une « occasion ratée » pour la décentralisation. Également d’actualité, les avancées attendues en faveur des finances des départements.
Localtis – On commence à entendre beaucoup parler des régionales. En revanche, beaucoup moins des départementales… Ne craignez-vous pas que celles-ci deviennent le scrutin « invisible » de ce rendez-vous électoral ?
Dominique Bussereau – Je dirais que c’est une vision très parisienne ! En réalité, lorsque vous ouvrez aujourd’hui n’importe quelle édition départementale de la presse quotidienne régionale, vous avez des pages entières sur les élections départementales. Je viens de lire l’édition Charente-Maritime du quotidien Sud-Ouest, on y trouvait au moins une vingtaine d’articles ! Les régionales quant à elles ont été anormalement nationalisées, du fait notamment de la candidature de personnalités qui sont aussi dans la course à l’élection présidentielle et du fait de certaines opérations très parisiennes… Cela remplace un peu la politique nationale habituelle pour les médias nationaux. Mais localement, les départementales, oui on en parle. Et s’il n’y a désormais pas d’élections départementales à Paris, on peut lire des choses très intéressantes sur la campagne en cours dans les départements de la petite couronne.
Est-ce qu’on en parle pour de bonnes raisons ? Autrement dit, parle-t-on de politiques départementales ?
Le fait que les deux scrutins aient lieu en même temps ne complique-t-il pas les choses ?
L’organisation de deux scrutins au même moment existe depuis 1986. Cela a commencé par « législatives et régionales », puis il y a eu des années « régionales et départementales », ou « départementales et municipales »… Donc nos concitoyens sont habitués à voter deux fois. Et c’est d’ailleurs plutôt favorable à la participation. Il y a les électeurs davantage intéressés par les régionales, parce que c’est beaucoup plus politique, il y a ceux qui sont intéressés par des choix locaux liés à des personnes qu’ils connaissent réellement… Donc oui, la concomitance des deux scrutins devrait être une bonne chose en termes de participation. Et ce, malgré le contexte et malgré les dates choisies. Les 13 et 20 juin ça allait encore, mais les 20 et 27… Le 27 juin, on sera en plein Tour de France, et ce seront les premiers départs en vacances. Autant de facteurs qui, eux, jouent malheureusement en faveur de l’abstention.
Et le fait d’être face à deux modes de scrutin complètement différents ?
Là aussi, les Français sont habitués. Lorsque les départementales et les municipales se sont tenues en même temps, n’oubliez pas que dans les petites communes, les électeurs devaient rayer des noms sur les listes… Là oui, c’était compliqué. Aujourd’hui, pour les deux scrutins, régionales comme départementales, vous avez simplement le choix entre plusieurs bulletins de vote. Certes, dans un cas, c’est une liste, dans l’autre pas. Mais finalement, on peut quasiment considérer les bulletins de vote pour les départementales comme des listes, puisqu’on a quatre personnes sur chaque bulletin – les deux candidats et les deux remplaçants. Donc cela ne pose pas de difficulté. La difficulté sera peut-être en revanche de trouver des assesseurs à cette période de l’année, avec la crainte de certains de se trouver dans un lieu de passage. Mais les communes lancent des appels dans la presse, là-dessus tout le monde fait son travail démocratique et républicain.
Est-ce que du côté de l’ADF, vous avez prévu une campagne d’information sur ces élections ?
Oui, nous avons préparé à l’attention de nos adhérents un certain nombre de documents – naturellement transpartisans – sur le rôle des départements, qui font le point sur les grands dossiers du moment. Nous les avons envoyés à tous les présidents et exécutifs de départements et les tenons à disposition des conseillers départementaux voire candidats qui en feraient la demande individuelle.
Le gouvernement avait lui aussi annoncé une campagne d’information… Vous avez des nouvelles là-dessus ?
Non, je n’ai pas encore de nouvelles. J’espère qu’elle aura lieu. Mais les gens savent en réalité pas mal de choses sur ce que fait le département. La plupart des départements diffusent toute l’année des magazines très bien faits, qui donnent de l’information utile et ont un rôle de pédagogie.
Le projet de loi 4D vient d’être présenté en conseil des ministres. Cela ne pose-t-il pas un problème de timing par rapport aux élections ? C’est d’ailleurs ce que dit la tribune que viennent de signer 44 présidents de départements publiée dans Le Monde.
Cette tribune dit regretter que le projet de loi intervienne en pleine campagne. En réalité, il n’arrivera pas au Sénat avant le mois de juillet. Je n’ai pas signé la tribune – je l’ai dit à son initiateur, François Durovray – précisément parce que ce point me gênait. Nous avions demandé au gouvernement que ce projet de loi arrive enfin. Je ne souhaitais donc pas me mettre en porte-à-faux vis-à-vis de ce que j’avais demandé. Je suis en revanche complètement d’accord sur le fond de cette tribune, sur les insuffisances manifestes de ce texte de loi. Seule cette notion de de temporalité me gênait. Il y a des choses positives dans ce projet de loi – je l’avais d’ailleurs notifié en décembre dernier à La Rochelle avec le Premier ministre. Mais par rapport aux réformes Deferre de 1982 ou Raffarin de 2003 et 2004, c’est quand même un texte très moyen. Venant d’un État qui, quels que soient les gouvernements, a tendance à être très centralisé, toute mesure de décentralisation, on la prend… Mais clairement, ce texte ne fait pas rêver les décentralisateurs !
C’est un texte technique…
Oui, trop technique. Et c’est dommage. Je l’ai dit à plusieurs reprises au chef de l’État, à Édouard Philippe puis à Jean Castex, à Jacqueline Gourault très souvent… Je regrette que l’exécutif n’ait pas saisi l’opportunité de mener une politique hardie de décentralisation.
Quels sont, dans ce texte, les principaux points qui coincent ? On pense par exemple au non-transfert des gestionnaires des collèges…
Sur ce non-transfert, c’est une position de compromis que présente le gouvernement. Il propose une expérimentation de trois ans. C’est de la bouillie de chat. J’espère que ce sera modifié et qu’il sortira du Parlement un transfert clair et définitif des gestionnaires de collèges et de lycées aux départements et aux régions. Et puis il y a la médecine scolaire, qui aujourd’hui n’existe plus. Les familles s’en plaignent, on voit aujourd’hui par exemple le problème que cela pose pour les autotests… Nous avions proposé un transfert, qui aurait permis de mettre ensemble la médecine scolaire, la médecine de PMI… Là encore, c’est une occasion ratée. On peut parler d’un choix insuffisant concernant les gestionnaires, et d’un mauvais choix concernant la médecine scolaire.
Sur le médicosocial, selon vous, qu’est-ce qui se dessine avec ce texte ?
Nous avions demandé, avec les régions, à participer à la gouvernance des agences régionales de santé. Là-dessus il n’y a rien. Les ARS sont aujourd’hui moins mauvaises qu’elles ne l’ont été au printemps dernier, elles ont compris qu’elles devaient travailler avec les élus locaux… Il y a un constat général, dans le monde politique, sur le caractère trop technocratique des ARS. C’était le moment où jamais d’en profiter.
Et sur le champ de la dépendance ? Sachant que parallèlement, la cinquième branche se préfigure, on évoque une hypothétique loi Grand Âge…
Vraiment je n’en sais rien, car on a des signaux contradictoires. Il est dit que Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée en charge de l’autonomie, pourrait réussir à obtenir un arbitrage pour faire passer un bout de texte… mais on n’en connaît pas le contenu.
Sur quels autres points du projet de loi 4D espérez-vous des évolutions fortes lors de l’examen au Parlement ?
Globalement, il s’agit d’améliorer l’ensemble des mesures. D’aller plus loin sur l’expérimentation, sur les pouvoirs donnés aux collectivités… Il n’y a quasiment rien pour les régions. Et il y a en revanche des choses absurdes comme les éventuels transferts de routes à des régions qui n’en veulent pas, alors même que la plupart des départements sont demandeurs. Oui, il y a des points positifs dans ce texte. Mais cela fait quand même trois ans qu’on alimente le gouvernement de notes, on a fait travailler l’ADF, il y a eu des rapports… On a vraiment essayé de nourrir la réflexion sur cette décentralisation. Et on aboutit à un texte, certes bon à prendre, mais qui n’a pas l’ambition que nous souhaitions.
Un groupe de travail gouvernement-ADF-Parlement sur les finances des départements vient de se mettre en place. Quelles sont ses perspectives ? Une possible clause de sauvegarde ?
Oui c’est une clause de sauvegarde, c’est la possibilité de faire varier les taux des DMTO [droits de mutation à titre onéreux], c’est un meilleur financement du RSA, c’est la prorogation des aides de l’État pour nous permettre de continuer à assurer ce que l’ADF a mis en place, à savoir la solidarité horizontale entre les départements les plus favorisés en DMTO et ceux qui le sont moins… Ce groupe de travail réunit nos représentants de la commission des finances de l’ADF – Jean-René Lecerf et Jean-Luc Chenut –, les collaborateurs du Premier ministre, ainsi que les présidents des délégations collectivités locales du Sénat, Françoise Gatel, et de l’Assemblée, Jean-René Cazeneuve. Une série de rendez-vous est prévue.
Est-ce en vue du prochain projet de loi de finances rectificative ?
Oui absolument, mais aussi pour préparer le projet de loi de finances initiale de 2022.
On a tendance à dire que la situation financière est un peu moins catastrophique que ce qu’on craignait l’année dernière…
Elle est plutôt bonne au niveau des DMTO. Dans mon département, si j’observe les chiffres de DMTO depuis le début de l’année, c’est historiquement bon, je n’ai jamais vu ça.
C’est l’attractivité de la Charente-Maritime !
C’est vrai, il s’agit d’un département touristique, et aujourd’hui avec l’essor du télétravail, certains ont transformé leur mode de vie, opté pour des résidences « mi-secondaires »… Mais on a en revanche une montée très forte du RSA dans beaucoup de départements.
Cette montée du RSA, c’est la grande crainte, n’est-ce pas ?
Oui. Tout va dépendre du choc social, qu’on mesurera après la réouverture des commerces, des restaurants, avec des gens qui seront laissés au bord du chemin. On surveille cela de près. On a depuis un an une augmentation de 10% du volume des bénéficiaires du RSA alors que dans la plupart des départements, avant la crise pandémique, la courbe s’était stabilisée. Nous continuons de dire au gouvernement qu’il est inique de ne nous verser que la moitié de ce que nous coûte le RSA.
Mais sur le RSA, vous n’attendez pas d’importante décision gouvernementale ? À part la possibilité inscrite dans le projet de loi 4D, pour ceux qui le voudraient, d’expérimenter une forme de recentralisation…
On pourrait avoir un système dans lequel l’État assurerait une meilleure prise en charge dès qu’un département connaît une augmentation phénoménale du RSA. Parallèlement, en effet, six ou sept départements discutent avec le gouvernement sur une éventuelle recentralisation du RSA.
C’est la fin de votre dernier mandat, puisque vous avez fait savoir que vous ne vous représentez pas. Quel pourrait être votre mot de conclusion, là aujourd’hui, quant à ce mandat de président de département ?
Je suis conseiller général puis départemental depuis 1986. Donc après 35 ans, il m’apparaît légitime de ne pas me représenter. Ce qui me frappe, c’est que les départements sont aujourd’hui extrêmement vivants, avec des ressources importantes, sont très présents dans la politique Petites Villes de demain, dans les contrats de relance et de transition écologique, dans les contrats de plan État-région, dans la mise en œuvre de la fibre… Et ils ont été en première ligne, avec les autres collectivités, dans la crise Covid. Donc ce que je retiens avant tout aujourd’hui, c’est l’extraordinaire capacité de toutes les collectivités, et en particulier de la collectivité départementale, à agir, à réagir et à s’adapter.
Le congrès 2020 de l’ADF aurait dû avoir lieu à La Rochelle. Qu’en sera-t-il du congrès 2021 ?
L’ADF élira ses instances le 27 juillet, donc un mois exactement après le second tour des élections, et ce sont les futures instances qui décideront de la tenue du congrès, sachant que nous n’avons malheureusement pas pu avoir de congrès en 2020. Plusieurs départements étaient déjà candidats pour accueillir le congrès de cette année, donc il appartiendra aux instances de l’ADF de décider du lieu de son organisation.