Inondations et défi d’adaptation des territoires : le Sénat pointe le manque d’anticipation et de moyens

L’année 2023 et le début d’année 2024 ont été marqués par des inondations aux conséquences humaines et matérielles dramatiques dans plusieurs Départements, notamment dans le Pas-de-Calais, le Nord, la Charente-Maritime, la Charente, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes.

Durant ces 40 dernières années, les inondations ont représenté plus de la moitié des reconnaissances d’état de catastrophe naturelle en France, touchant environ 3  500 communes par an.

18,3 millions de Français résident et travaillent dans des zones exposées aux inondations du fait d’un débordement de cours d’eau (26,8 % de la population française). À l’horizon 2050, la sinistralité moyenne annuelle des inondations pourrait augmenter de 6 % à 19 % et celle des submersions marines de 75 % à 91 %.

La progression de l’aléa climatique et la concentration des logements et des entreprises dans les zones inondables devraient ainsi conduire à une augmentation de près de 85 % du coût des sinistres provoqués par des inondations et la submersion marine, passant ainsi de plus de 56,4 milliards d’euros entre 1989 et 2019 à 104 milliards d’euros entre 2020 et 2050.

Les phénomènes météorologiques extrêmes de l’automne 2023, puis de janvier 2024 sont venus rappeler la réalité de ce risque. Plusieurs centaines de communes du Nord, du Pas-de-Calais, des Alpes-de-Haute-Provence, de l’Ardèche, de l’Aude, de Charente-Maritime, de Corse-du-Sud, du Finistère, de Loire-Atlantique et du Var ont été reconnues en état de catastrophe naturelle.

Face à l’ampleur et à l’accélération de ces phénomènes, la question de l’adaptation du financement de la prévention des risques (taxe GEMAPI, fonds Barnier…) et de l’indemnisation des victimes se pose, Gérard Larcher a décidé, lors de son déplacement dans le Pas-de-Calais le 4 décembre 2023, d’ouvrir un travail d’investigation. Une mission de contrôle budgétaire a été mise en place dont les objectifs ont été triples :

  • dresser un état des lieux des inondations survenues en 2023 et en début d’année 2024 sur l’ensemble du territoire, en prenant en compte la diversité des situations, notamment entre plaine et montagne, et examiner quelle a été la gestion par les pouvoirs publics de ces évènements ;
  • identifier les facteurs naturels et humains qui favorisent une augmentation des risques et des dommages ;
  • enfin, formuler des propositions en faveur d’une meilleure anticipation, prévention, gestion et indemnisation des inondations.

À l’occasion des réflexions engagées et sur la base de 1 200 témoignages d’élus locaux, Jean-François Rapin, Sénateur du Pas de Calais et Président de la Commission des Affaires européennes, constate que « les canaux ne sont parfois pas assez gros, pas assez nombreux. On manque de zones d’expansion de crues, c’est-à-dire que quand un fleuve déborde, il faut lui permettre de pouvoir déborder. Ces moyens de gestion naturels ne sont pas suffisamment exploités en France, alors que les Pays-Bas, par exemple, ont bien anticipé ces phénomènes, car ils sont en partie sous le niveau de la mer« .

Le sénateur déplore également le manque de moyens des SDIS : « Durant cet épisode d’inondations, nous avons dû emprunter des pompes à la Slovaquie. Il a été rapporté que les SDIS manquent aussi de moyens héliportés pour intervenir. »

Présentation des 20 recommandations

Recommandation n° 1 : Améliorer et faciliter la gestion des cours d’eau pour mieux prévenir les inondations à travers :

– la clarification par les services de l’État (au profit des collectivités territoriales, mais également des acteurs agricoles et des riverains) de la distinction entre les différents régimes juridiques applicables aux interventions dans les cours d’eau ;

– l’ajout explicite au régime de travaux d’urgence dans les cours d’eau (articles L. 214-3 et R.214-44 du code de l’environnement) des travaux d’entretien visant à remédier à une inondation grave et à minimiser les impacts de nouvelles inondations ;

– l’instauration d’une procédure d’instruction simplifiée et accélérée des demandes d’intervention préventive dans les cours d’eau qui serait à la main du maire et de l’autorité gémapienne, directement instruite par le préfet dans un délai maximal défini par voie réglementaire ;

– la mise en place, au niveau des préfectures de Département, d’une cellule dédiée à l’information et l’accompagnement des autorités gémapiennes pour l’élaboration et la mise en œuvre d’actions destinées à améliorer la gestion des cours d’eau dans l’objectif de mieux prévenir les risques d’inondation.

Recommandation n° 2 : Adapter les moyens à disposition de VNF pour contribuer à la prévention des inondations sur le territoire, en :

– lui assurant des moyens adéquats pour assurer l’entretien et la régénération de ses ouvrages hydrauliques, en tenant compte des effets du changement climatique sur les risques d’inondation et, en conséquence, sur l’état du réseau à long terme ;

– dotant l’établissement de moyens humains et financiers dédiés et inscrits dans le COP pour appuyer les collectivités dans leurs missions de protection des populations face aux inondations.

Recommandation n° 3 : Assurer le bon état des digues et mettre en place un modèle de financement plus juste de la Gemapi, à travers :

– le lancement d’un programme d’ingénierie à destination des EPCI porté par le Cerema et centré sur la prévention des inondations, sur le modèle du « Programme national ponts » (état des lieux des systèmes d’endiguement, évaluation des besoins puis éventuellement soutien financier à la réparation, création et rehaussement d’ouvrages pour l’adaptation au changement climatique) ;

– l’instauration d’un fonds de péréquation de la taxe Gemapi à l’échelle des bassins versants, dont les financements seraient attribués aux EPCI bénéficiaires en fonction de critères objectifs (potentiel fiscal, mètre linéaire de digues, montant des travaux inscrits au PAPI).

Recommandation n° 4 : Soutenir les collectivités territoriales dans l’élaboration de stratégies de prévention des inondations adaptées à leur territoire, à travers :

– un renforcement des moyens dédiés à l’accompagnement des collectivités territoriales, notamment par le Cerema, dans la modélisation des aléas inondation et l’élaboration de stratégies de prévention adaptées ;

– une clarification locale, sous l’égide des préfets, de la répartition des responsabilités en matière de gestion du risque d’inondation par ruissellement.

Recommandation n° 5 : Accélérer et simplifier l’élaboration et la mise en œuvre des PAPI, à travers :

– la fixation par voie réglementaire de délais à respecter par l’administration pour la désignation du préfet pilote et du référent État du PAPI, l’instruction du « programme d’études préalables », l’analyse de la complétude du dossier et son examen par l’instance de bassin ;

– la mise à disposition par l’État du « référent PAPI » auprès de la collectivité porteuse du projet, pour lui fournir un accompagnement technique et réglementaire de proximité

– la mise en place d’un guichet unique, chargé à la fois de l’autorisation, du subventionnement et de l’accompagnement des projets inscrits au PAPI.

Recommandation n° 6 : Mieux maîtriser l’exposition des personnes aux risques d’inondation à travers :

– l’inscription dans la feuille de route triennale 2025-2027 d’élaboration des plans de prévention des risques la prise en compte des effets climatiques sur le risque inondation dans les PPRi et les PPRL et un objectif d’approbation de l’ensemble des PPRi et des PPRL prescrits d’ici 2027 ;

– le renforcement des exigences que doit remplir l’état des risques requis dans le cadre d’une acquisition immobilière, pour permettre aux acheteurs de mieux appréhender la réalité du risque inondation auquel le bien est exposé.

Recommandation n° 7 : Encourager le développement de solutions de prévention des inondations fondées sur la nature, à travers :

– l’ajout d’un huitième axe aux PAPI relatif au développement des solutions fondées sur la nature, définies en partenariat avec les agences de l’eau et après concertation avec les chambres d’agriculture ;

– l’amélioration de l’information des élus locaux sur la possibilité d’utiliser leurs droits de préemption pour créer des zones d’expansion de crues (ZEC), par une circulaire du ministre chargé des collectivités territoriales adressée aux maires et aux présidents d’EPCI.

Recommandation n° 8 : Adapter les méthodes d’aménagement et de construction dans les zones exposées aux inondations pour réduire la vulnérabilité du bâti et mieux garantir la résilience des territoires face à ces phénomènes.

Recommandation n° 9 : Adapter le fonds Barnier pour favoriser les travaux de prévention individuelle face aux inondations.

Recommandation n° 10 : Poursuivre le développement d’une véritable culture du risque et de la résilience face aux inondations à travers :

– l’utilisation d’outils permettant de diffuser auprès de l’ensemble des acteurs (élus, fonctionnaires, administrés, entreprises, etc.) la connaissance des risques d’inondation passés, actuels et à venir sur leur territoire et des bons comportements à adopter face à eux ;

– la mise en place de formations à destination des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux du bloc communal en matière de prévention des risques inondation.

Recommandation n° 11 : Adapter les moyens humains et financiers du Schapi et de Météo France dédiés à la prévision des inondations, afin :

– d’atteindre l’objectif d’une couverture intégrale du territoire par Vigicrues avant 2030 ;

– de mieux faire connaître le dispositif Vigicrues Flash auprès des élus locaux et particulièrement des maires ;

– et de permettre à Météo France de s’adapter à l’intensification des catastrophes naturelles, dans un contexte de dérèglement climatique.

Recommandation n° 12 : Adapter la sécurité civile au dérèglement climatique, à travers :

– la conclusion d’un pacte capacitaire « inondations », qui prévoirait à terme le doublement au niveau national des capacités de pompage lourd, l’achat de pompes puissantes dans chaque zone de défense et de sécurité ainsi que le renforcement des moyens de sauvetage héliporté et de reconnaissance aérienne ;

– le déploiement des effectifs de sapeurs-pompiers dans les territoires dans lesquels le dérèglement climatique augmentera fortement la fréquence et l’intensité des inondations ;

– la formation d’intervenants aux moyens spécialisés pour les interventions en matière d’inondations, placés au sein des Centres opérationnels départementaux (COD) ;

– la montée en puissance du mécanisme de protection civile de l’UE sur le risque inondations, par la création d’une réserve européenne de protection civile pour les inondations mobilisable dans les mêmes délais que pour les feux de forêt, et par le renforcement de l’interopérabilité des services de secours.

Recommandation n° 13 : Renforcer l’efficacité de la gestion de crise au niveau communal, à travers :

– l’accompagnement des communes dans l’élaboration de PCS adaptés et opérationnels. Dans chaque préfecture de département, un référent PCS serait nommé, afin d’accompagner les maires dans la rédaction du PCS et d’animer un réseau de diffusion des bonnes pratiques en matière de prévention des inondations avec les élus locaux ;

– l’équipement des communes de montagne exposées au risque inondation en moyens de communication satellitaire ;

– une concertation, dans le cadre du « Beauvau de la sécurité », sur les raisons du faible développement des réserves communales de sécurité civile.

Recommandation n° 14 : Renforcer la coordination intercommunale dans la gestion de crise, en systématisant, par à un appui préfectoral, l’élaboration de PICS dans les territoires où une telle planification est adaptée, sans remettre en cause le couple maire – préfet, central dans la gestion de crise.

Recommandation n° 15 : Soutenir les collectivités territoriales dans la gestion de l’après crise à travers :

– l’instauration d’un mécanisme de solidarité entre EPCI permettant d’apporter un appui technique et administratif aux collectivités sinistrées, surtout en zone rurale ;

– la mise en place d’un guichet unique au niveau préfectoral pour faciliter les demandes d’aides financières pour les collectivités locales.

Recommandation n° 16 : Instituer une avance de trésorerie à taux bonifié pour les réparations d’urgence des collectivités territoriales ayant été touchées par une inondation.

Recommandation n° 17 : Après une inondation, soutenir les collectivités territoriales sinistrées dans une démarche de reconstruction résiliente, à travers :

– la mise en place d’un appui financier et technique à la réalisation de travaux de réparation, notamment sur leur patrimoine immobilier, permettant de réduire les impacts d’inondations futures

– l’instauration d’une procédure d’instruction accélérée pour mener des travaux structurants de réparation sur les cours d’eau, adossée à la procédure proposée par la recommandation n° 1.

Recommandation n° 18 : Étendre la compétence du Bureau central de tarification à la renégociation des contrats d’assurance.

Recommandation n° 19 : favoriser une utilisation des indemnités d’assurance pour une reconstruction de meilleure qualité après les inondations.

Recommandation n° 20 : Tirer avantage des travaux de remise en état des habitations sinistrées pour réduire la vulnérabilité du bâti, à travers :

– l’extension de l’expérimentation « Mirapi » à des communes de montagne en état de catastrophe naturelle du fait d’inondations en 2023 et au début de l’année 2024 ;

– la remise au Parlement d’un nouveau rapport d’évaluation de l’expérimentation, après son application aux dernières inondations, qui apprécierait notamment l’effet de la hausse du taux de cofinancement des travaux de réduction de vulnérabilité ;

– la pérennisation et la généralisation du dispositif, au terme de l’expérimentation en 2026.

Accédez à l’essentiel du rapport :

https://www.senat.fr/rap/r23-775/r23-775-syn.pdf

Accédez au rapport :

https://www.senat.fr/rap/r23-775/r23-775_mono.html

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