Interdiction des prises en charge de mineurs en hôtel en application de la loi Taquet : « une bonne intention, mais hélas inapplicable dans les conditions actuelles »

C’est l’hôtel ou la rue ! DF a maintes fois prévenu. Et pourtant… Au 1er février 2024, les dispositions de loi Taquet relatives à l’interdiction des prises en charge de mineurs sont entrées en vigueur, comme prévu, et malgré les alertes des Départements.

Dans le contexte d’un récent évènement dramatique dans le Puy-de-Dôme, ces dispositions font écho aux préoccupations et aux attentes des associations de protection de l’enfance, et ont l’apparence du bon sens. Toutefois, elles risquent bien d’avoir des conséquences dramatiques pour les mineurs de l’ASE.

« La loi Taquet est une loi d’intention. Mais elle est, dans les conditions actuelles de saturation des structures de l’ASE et de chute des recettes des Départements, irréaliste et inapplicable », déplore François SAUVADET, Président de DF. « Je ne peux pas laisser se diffuser cette petite musique insupportable selon laquelle les Départements se désintéressent du sort des mineurs dont ils ont la charge. Les Départements avaient, dès 2022, pris la mesure de cette loi. Ils avaient pour certains réussi à ne plus recourir au placement en hôtel. Or comment auraient-ils pu prévoir la hausse exponentielle du nombre des placements en ASE due en partie à l’arrivée de MNA? Il y a évidemment une envie partagée d’améliorer les choses. Mais le constat est sans appel : parfois, nous n’avons pas le choix ! »

 Malgré l’entrée en vigueur de la loi Taquet, il reste une disposition dérogatoire permettant une prise en charge en hôtel social pour une période maximale de deux mois, en cas d’urgence. Cela pourrait contraindre des Départements à mettre en œuvre un « turnover » pour placer les mineurs en danger dans les structures de l’ASE. Mais s’il n’y a pas de place, que se passera-t-il ? Les Départements se trouveront, en toute bonne foi, en situation d’illégalité.

Les structures de l’ASE sont saturées. Les Départements manquent tant de moyens que de personnels.

208 064 enfants sont placés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). 21% sont des mineurs non accompagnés (MNA). « Nous accueillons déjà, au sein de l’ASE, près d’un tiers de jeunes qui ne devraient pas être de notre responsabilité du fait des carences de la PJJ et des ARS. Face à l’arrivée massive de MNA nous n’avons plus de possibilités d’accueil dans nos Départements. Nos personnels, très dévoués, sont sous tension », rappelle François SAUVADET.

« Qui pourrait accuser les Départements de ne pas investir dans l’accueil des mineurs en difficulté quand les dépenses totales de l’ASE sur la France entière représentent une charge nette de plus de 9 milliards d’euros, dont 1,5 milliard, pour les seuls MNA ? », interroge Florence DABIN, Vice-Présidente de DF en charge de l’enfance. « Les Présidents de Départements sont responsables pénalement en matière d’aide à l’enfance. Les inspecteurs ASE qui les représentent ne recourent au placement en hôtel que lorsqu’ils n’ont pas le choix », ajoute François SAUVADET.

Le placement en hôtel intervient en effet en dernier recours, soit pour des mineurs autonomes, soit pour des enfants dont les problèmes psychiatriques rendent incompatibles les placements en structure ou en famille. Ces derniers nécessitent des soins spécifiques, et parfois des éducateurs dédiés dont le coût peut atteindre  900 euros par jour en lieu et place du secteur médico-social.

DF constate d’ailleurs une augmentation du nombre de cas relevant de problèmes psychiques et psychiatriques. Les mineurs victimes de ces troubles doivent bénéficier d’une réponse adaptée que l’ASE ne peut fournir dans son seul champ de compétences, et qui relève d’autres acteurs, notamment des ARS.

Les Départements sont confrontés aux difficultés de recrutement

L’ASE comme tous les métiers de l’humain, connaît de grandes difficultés de recrutement. Tous les moyens investis sont conditionnés par l’attractivité des métiers qui n’est pas simplement une question financière, mais aussi de considération sociale …

« S’il faut du temps et des moyens pour construire un centre d’hébergement, il en faut encore plus pour recruter », explique François SAUVADET. « Lorsqu’on lance un appel à projets, cela prend déjà un an. Ensuite, même si la structure existe, si l’association ne trouve pas le personnel nécessaire, elle n’ouvrira pas. Enfin, il faut tout de même constater l’opposition de certains maires à ouvrir des structures d’accueil de l’ASE sur leur commune ».

Cinq chantiers pour la protection de l’enfance, dont un spécifique sur la prise en charge des MNA

Pour une politique plus efficace en matière de protection de l’enfance, les Départements n’ont cessé d’alerter les gouvernements successifs sur les manques de moyens humains et financiers.

Précisément, DF demande un financement de l’État pour la prise en charge des MNA, la prise de responsabilité de l’État pour la mise à l’abri, la révision de certaines des dispositions de la loi Taquet (hébergement à l’hôtel, contrats jeunes majeurs), une concertation 360°, aux niveaux national et départemental, de toutes les parties prenantes (Départements, justice, santé / pédopsychiatrie, éducation nationale), ainsi que l’élaboration d’un cahier des charges national de l’évaluation des MNA pour harmoniser les pratiques.

L’instance de dialogue État / Départements annoncée par l’ancienne Première ministre lors des Assises de DF en Alsace, s’est réunie pour la première fois en décembre 2023.

L’État et les Départements se sont ainsi engagés à mettre en œuvre les dispositifs nécessaires, chacun en ce qui le concerne, et à renforcer les partenariats autour de cinq chantiers :

L’amélioration de la prise en charge des jeunes confiés à l’ASE en lien avec les services de la Justice et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ;

  • L’amélioration des réponses aux enfants confiés à l’ASE nécessitant des prises en charge en matière d’éducation, de santé et de médico-social
  • L’amélioration de l’attractivité des métiers de l’enfance ;
  • La prise en charge des Mineurs Non Accompagnés et leur financement ;
  • La gouvernance financière et politique.

Les Départements de France demandent instamment au Gouvernement de confirmer son intention de travailler avec eux et d’engager rapidement les travaux de l’instance de dialogue.

19 370 MNA ont été pris en charge par les Départements l’an dernier, portant leur nombre sur le territoire à 43 900 au 31 août 2023.

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