La commission des finances du Sénat a entendu le 24 septembre une communication des sénateurs Arnaud Bazin et Eric Bocquet, rapporteurs spéciaux, sur la recentralisation du financement du RSA.
Arnaud Bazin et Eric Bocquet ont tout d’abord rappelé le contexte de cette expérimentation, marqué par les difficultés financières de certains Départements face à l’augmentation des dépenses de RSA sur fond de crises sanitaire et inflationniste. Ils ont également exposé les conditions dans lesquelles cette renationalisation a eu lieu, expliquant le faible nombre des Départements pour le dispositif. Seules trois candidatures ont été retenues : la Seine-Saint-Denis et les Pyrénées-Orientales en 2022, puis l’Ariège en 2023.
Ils considèrent qu’à mi- parcours le bilan est globalement positif. Ils observent que la recentralisation a permis de protéger efficacement les Départements expérimentateurs contre l’effet ciseau qu’implique à la fois les dépenses de RSA et la volatilité des recettes de DMTO.
S’agissant des politiques d’insertion, les Départements expérimentateurs ont tous profité de la recentralisation du RSA pour revoir leurs procédures d’orientation, afin d’en améliorer l’efficacité.
Ils se sont ainsi engagés à réduire les délais d’orientation : la Seine-Saint-Denis a misé sur un procédé d’orientation algorithmique à la rapidité éprouvée et les Pyrénées-Orientales ont mis en place, à la fin de 2023, une plateforme téléphonique dont les premiers résultats sont encourageants. Dans ce dernier Département, les délais d’orientation ont ainsi été réduits de moitié depuis 2018. En Ariège, 55 % des nouveaux allocataires sont orientés en moins d’un mois. En Seine-Saint-Denis, les réorientations se développent, témoignant du souci du Département d’adapter l’orientation aux besoins des bénéficiaires au fur et à mesure de leur parcours.
Les Départements expérimentateurs ont également consacré des moyens croissants aux politiques d’insertion. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les crédits départementaux d’insertion ont été doublés en deux ans, de même que les effectifs de référents insertion. Une hausse comparable est observée dans les Pyrénées-Orientales, où les crédits d’insertion sont passés de 8 à 13 millions d’euros et où le nombre de conseillers d’insertion a triplé.
Les partenariats territoriaux avec Pôle emploi, devenu France Travail, ont également été renforcés, favorisant la montée en puissance d’un « accompagnement global » conduit conjointement par le Département et le service public de l’emploi. Dans les Pyrénées-Orientales, la montée en charge de ce mode d’accompagnement est particulièrement ambitieuse : le nombre de bénéficiaires du RSA concernés doit passer de 700 à 2 100 personnes par an au terme de l’expérimentation.
En Ariège, où les solutions d’accompagnement étaient déjà très variées, la recentralisation a permis d’expérimenter de nouvelles actions, comme la mise en place d’un outil dit « Job-Data » connectant des employeurs et des bénéficiaires du RSA. C’est sans doute dans le département de Seine-Saint-Denis que la politique locale d’insertion a été le plus profondément transformée, avec la mise en place des agences locales d’insertion (ALI), qui ont vocation à offrir un accompagnement socio-professionnel largement appuyé sur les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE).
S’il est encore trop tôt pour se prononcer sur les résultats de ces nouvelles politiques d’insertion, les sénateurs observent des dynamiques assurément encourageantes. Les départements expérimentateurs comme les administrations de l’État les jugent plutôt prometteuses.
Enfin, les deux rapporteurs ont abordé la suite et la fin de l’expérimentation. La réforme de France Travail et la suppression, annoncée mais non encore échue, de l’allocation de solidarité spécifique, peuvent faire peser des incertitudes sur les Départements. Par ailleurs, le manque de méthode pour l’évaluation de l’expérimentation ne laisse pas d’inquiéter.
- Les sénateurs observent en effet qu’aucun critère de réussite n’a été fixé en amont, aucun évaluateur indépendant n’a été désigné. Cela signifie qu’il existe un risque que l’évaluation soit réalisée par l’administration qui l’a mise en œuvre, selon des modalités qu’il lui reviendrait de déterminer, et selon des critères de réussite qui pourraient être fixés en fonction du résultat souhaité.
- Pour une évaluation scientifique, ils recommandent que soit menée une comparaison des données du retour à l’emploi des départements expérimentateurs et du reste du pays
Alors que la pérennisation d’une recentralisation « à la carte » semble à leurs yeux difficilement praticable, ils ont présenté trois scénarios de sortie de cette expérimentation en 2026 :
- En cas de prolongation de l’expérimentation, il conviendra de s’assurer que cette reconduction est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale en permettant le cas échéant la participation de nouveaux Départements selon les critères d’éligibilités actuels ;
- Le scénario d’une recentralisation généralisée du financement du RSA serait une option possible si l’expérimentation donnait des résultats très concluants sur l’ensemble du territoire. Cette mesure de grande ampleur conduirait toutefois à un recul de la décentralisation et devrait nécessairement être concertée avec l’ensemble des Départements, pour en définir les conditions acceptables par tous.
- En cas de « re-décentralisation », il conviendrait d’assurer aux départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l’État au début de l’expérimentation. Au vu de la situation très dégradée des finances publiques, les rapporteurs spéciaux recommandent de mener dès à présent une réflexion quant à la potentielle mobilisation de dispositifs de péréquation, notamment le Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion (FMDI) afin d’en renforcer l’efficacité péréquatrice à coût constant pour l’État.
5 recommandations sont présentées
Recommandation n° 1 : Poursuivre les discussions avec le département de la Guadeloupe afin de trouver une solution technique et juridique lui permettant, s’il le souhaite toujours, de bénéficier de la recentralisation du financement du RSA sur le fondement de l’article 73 de la Constitution.
Recommandation n° 2 : Surseoir à la suppression de l’ASS jusqu’au terme de l’expérimentation ou, à défaut, compenser aux départements l’accroissement de charges induit par le report des bénéficiaires de l’ASS vers le RSA.
Recommandation n° 3 : Mener une évaluation rigoureuse de l’expérimentation, en conjuguant notamment deux approches :
– une première approche au niveau « micro », menée en continu par les administrations compétentes de l’État et des départements et fondée sur les données relatives aux « sorties positives » des dispositifs d’insertion départementaux ;
– une seconde approche au niveau « macro », menée au terme de l’expérimentation par un évaluateur indépendant et fondée sur la comparaison de données départementales avec des données nationales sur le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA.
Recommandation n° 4 : Quelle que soit l’issue de l’expérimentation, respecter quelques principes cardinaux :
– ne prolonger l’expérimentation que si cette prolongation est justifiée du point de vue de la démarche expérimentale, en permettant le cas échéant la participation de nouveaux départements selon les critères d’éligibilités actuels ;
– obtenir l’accord de l’assemblée générale des Départements de France préalablement à tout projet de recentralisation du RSA sur tout le territoire ;
– en cas de « re-décentralisation », assurer aux Départements expérimentateurs un niveau de ressources compensatrice au moins égal au niveau des ressources reprises par l’État au début de l’expérimentation.
Recommandation n° 5 : Pour prévenir les effets d’une « re-décentralisation » inédite, engager dès à présent une réflexion sur les moyens d’atténuer au mieux les difficultés des Départements les plus fragiles, par exemple en réformant des dispositifs de péréquation tels que le FMDI
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