Thématique – 3
Financer les collectivités : avec ou sans l’État ?
En 1789, au nom de l’égalité et afin d’éviter tout contre-pouvoir, l’État capture le pouvoir fiscal en établissant un monopole du pouvoir législatif sur le pouvoir fiscal. Les ressources des collectivités deviennent alors tributaires de décisions étatiques erratiques tandis que les budgets locaux font l’objet d’un contrôle poussé par l’administration de l’État. La conquête d’une plus grande autonomie financière, longtemps revendiquée, sera portée au XXe siècle par la libéralisation du vote des budgets locaux, la reconnaissance du droit d’emprunter et la mise en œuvre de taxes locales spécifiques sur lesquelles les collectivités disposent du pouvoir de moduler les taux.
L’accroissement de la décentralisation, pourtant, ne s’est pas accompagné des garanties financières espérées localement. L’accroissement des charges locales, la réduction des dotations et le remplacement de ressources fiscales dynamiques par des subventions étatiques préfixes contraignent fortement des budgets locaux par ailleurs contraints par des facteurs extérieurs comme l’inflation.
La disparition de la taxe d’habitation : un levier financier perdu pour les collectivités
La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, décidée en 2018, est exemplaire de l’évolution récente du mode de financement des collectivités. Privant les communes d’une ressource sur laquelle elles disposaient d’un pouvoir de modulation par la fixation du taux, elle a été remplacée par le transfert aux communes de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, tandis que les intercommunalités et les départements ont été dotés d’une fraction de la TVA. Une telle évolution a ainsi conduit à une plus forte dépendance des budgets locaux à l’égard de ressources non spécifiquement locales.
Autonomie budgétaire, autonomie fiscale, autonomie financière : de quoi parle-t-on ?
Issue de la loi municipale de 1884 qui disposait que « le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la communes », cette disposition conçue comme un fondement de compétence générale a été transcrite au bénéfice du département en 1926 et de la région en 1982.
Outil de concrétisation de la dimension politique des collectivités territoriales françaises, la clause de compétence générale constitue à l’évidence une forme de liberté laissée au bénéfice de l’ensemble des collectivités au sens où elle leur laisse le pouvoir et la capacité de commencer quelque chose.
Permettant aux collectivités d’initier une action en dehors des domaines expressément confiés à leur compétence, à condition que cette action n’entre pas en conflit avec une attribution explicite de compétence, cet outil a servi de support à de nombreuses avancées sociales portées par le mouvement du « socialisme municipal », au début du XXe siècle, mais aussi par l’action facultative des départements en matière sociale ou en matière de solidarité territoriale.
Le législateur, après maintes hésitations entre la loi RCT (2010), la loi MAPTAM (2014) et la loi NOTRe (2015), s’est finalement résolu à abroger le dispositif des clauses de compétence générale départementale et régionale en prévoyant que les assemblées délibérantes de ces collectivités règlent par leurs délibérations leurs affaires « dans les domaines de compétences que la loi [leur] attribue ».
Les « affaires du département » et les « affaires de la région » se trouvent ainsi qualitativement limitées aux compétences expressément attribuées par la loi.
Cette réduction n’est pas anodine, dans la mesure où elle revient à réduire la surface d’action politique de ces collectivités en les empêchant de déterminer les contours singuliers de leur intérêt public local en dehors de ce que le législateur a décidé de la formation de ce dernier.
Des ressources fiscales longtemps tributaires du bon-vouloir de l’État
Construit théoriquement autour d’une corrélation entre unité fiscale et unité de la souveraineté nationale, le monopole de l’État sur la fiscalité s’est progressivement traduit par l’élaboration de techniques fiscales de financement des collectivités spécifiques. Longtemps variable et sujette à d’incessantes modifications, la fiscalité de l’État n’a longtemps traité la question du financement des collectivités infraétatiques que de manière marginale, établissant finalement un système intitulé « centimes additionnels » permettant aux communes de prélever des sommes additionnelles sur les impôts d’État.
Il est ainsi arrivé que, lors de la suppression d’impôts étatiques, les sources de financements locales soient privées d’assise juridique. La grande fragilité financière des communes, à laquelle des taxes spécifiques n’a pas apporté de réponse suffisante, a contraint le législateur à reconnaître assez tôt la possibilité de solliciter l’instauration par la loi d’impôts locaux spécifiques dont le plus célèbre est « l’octroi », contribution indirecte prélevée sur un certain nombre d’objets de consommation entrant sur le territoire d’une commune.
À cette évolution a succédé l’instauration d’une multitude de taxes spécifiques qui ont contribué à rendre extrêmement confus, car dépourvu d’unité d’ensemble, le système de financement des collectivités. Au début du XXe siècle, alors que la fiscalité de l’État se réinvente profondément, la question du financement des collectivités reste irrésolue et assise sur le maintien fictif des éléments de fiscalité anciens pour permettre le calcul des montants prélevés par les communes !
La première évolution substantielle a été initiée par l’ordonnance du 7 janvier 1959 qui consacre, dans son article 1er, la disparition de la plupart des impôts et taxes perçus jusqu’alors par les collectivités puis définit, dans son article 2, quatre nouveaux impôts dont le produit revient exclusivement à la commune et au département : la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la taxe d’habitation et la taxe professionnelle.
Impôts de quotité assis sur des bases claires — valeur locative pour les taxes foncières et la taxe d’habitation, produit brut annuel du fonds exploité pour la taxe professionnelle —, aux taux votés par les assemblées délibérantes, les nouvelles taxes locales sont propres aux collectivités.Elles ne sont dès lors plus rattachées à des impositions d’État, fondant ainsi les bases d’une nouvelle autonomie s’incarnant d’abord dans leur spécificité. Quoique toujours régies par l’État, qui encadre avec rigueur la définition des taux, ces impositions constituent une évolution majeure, celui-ci ayant choisi de réserver aux communes des taxes qui leur sont spécifiques, plutôt que de leur attribuer des fractions d’impôts d’État.
L’entrée en vigueur d’un tel texte a supposé un certain nombre d’évolutions législatives dont l’adoption a demandé un certain temps et qui a donc été échelonnée. Après une loi déterminant les modalités d’évaluation des bases des nouveaux impôts locaux, la loi du 31 décembre 1973 a permis l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 1959 à compter du 1er janvier 1974. L’entrée en vigueur de la taxe professionnelle, assise sur la valeur locative des immobilisations corporelles utiles à la production, est permise par la loi du 29 juillet 1975 qui prévoit en outre que la fixation des taux reviendra aux assemblées délibérantes en 1978 après la survenance d’une nouvelle loi prévoyant leur modalité. Marquant une évolution sensible des esprits, cette loi est donc suivie par une autre, le 10 janvier 1980, qui confie aux collectivités la modulation des taux de leurs impôts.
Depuis, l’évolution du périmètre de la fiscalité locale consécutive à la suppression de la taxe professionnelle et à celle de la taxe d’habitation pour les résidences principales a contribué à l’érosion du pouvoir de modulation de la fiscalité locale par les collectivités territoriales, dont le financement tend à faire une place croissante à des fractions d’impôts ou taxes nationaux, comme la TVA.
Valéry Giscard d’Estaing en 1978 lors
d’une visite officielle aux États-Unis.
© Gouvernement des États-Unis,
Wikimedia Commons.
L'essentiel
Au XXe siècle, la décentralisation se poursuit, jusqu’à être intégrée à la Constitution comme mode d’organisation souhaitable de l’État : peu à peu, les collectivités territoriales gagnent en autonomie politique et juridique.
« Le problème des finances locales apparaît à la fois comme la condition et la conséquence du mouvement de décentralisation. »