Histoire – 2

Exposition universelle de 1900, banquets des maires de France aux Tuileries avec des plaques indiquant leurs régions d’origine, le 22 septembre 1900. Photographie, gélatino-bromure d’argent. Crédit : Wikimedia Commons.

Alexis Ch. Henri de Tocqueville, caricaturé par Honoré Daumier (1808-1879),
1849, lithographie, Rosenwald Collection – National Gallery of Art

Refonder des libertés locales : le projet décentralisateur

Durant le XIXe siècle, l’étouffement des institutions locales par la centralisation excessive alimente l’expression d’un mouvement libéral dont les grandes figures, comme Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville, appellent à une forte décentralisation, voire au fédéralisme. Il faut cependant attendre l’avènement de la IIIe République pour que le projet décentralisateur, pleinement intégré à la consécration législative des grandes libertés individuelles (liberté de la presse, liberté de conscience…) et collectives (liberté de réunion, liberté syndicale, liberté d’association…), se mette en marche. La décentralisation est alors pensée comme un moyen de restituer, par la voie d’un mouvement juridique inverse à celui de la centralisation, une forme d’autonomie au bénéfice de corps intermédiaires locaux pensés comme autant d’outils de consolidation de la République sur le territoire.

En 1865, le Manifeste de Nancy, écrit par 17 notables locaux et adressé largement à un certain nombre de personnalités politiques, en appelle à ce que « la province, où vivent les quatorze quinzièmes de la population de l’Empire, ne soit plus en tout et toujours la très-humble tributaire de Paris ». 

Cet appel très relayé et les apports de la pensée libérale vont inspirer les réformateurs de la fin du XIXe siècle et permettre l’aboutissement d’une première poussée de décentralisation. Compromis entre l’aspiration légitime à l’autonomie locale et la volonté de préserver les acquis de l’unité territoriale et politique du pays, cette étape a permis le retour, au sein de la Nation française, d’une expression politique locale singulière, assise sur la démocratie.

En 1871, une loi redonne ainsi toute leur place aux élus départementaux et renforce leur champ d’action. En 1882, l’élection des maires est restaurée et en 1884, une grande loi communale redonne aux communes un plus large pouvoir d’action, consacrant à leur bénéfice une clause de compétence générale qui sera étendue au département en 1926.

La République célèbre alors ses élus locaux, perçus comme ses auxiliaires les plus précieux, comme en témoigne l’impressionnant banquet des maires organisé en 1900 pour célébrer la proclamation de la IIe République, auquel participent près de 23 000 élus !

Figure de la pensée libérale, Benjamin Constant (1767-1830), est à l’origine de réflexions sur ce qu’il appelle « le pouvoir municipal » et les « autorités locales », qu’il conçoit comme de légitimes facteurs d’équilibre entre État et citoyen. Fédéraliste, il défend l’idée du « patriotisme de localité » et soutient que la Nation « n’est rien quand on la sépare des fractions qui la composent ». Il appelle pour ce faire à l’avènement d’une organisation fédérale qui devrait laisser aux collectivités locales leur autonomie pour autant que leur action « ne menace en rien l’intérêt social ». La subsidiarité avant l’heure !

Très marqué par son voyage en Amérique, Alexis de Tocqueville (1805-1859) est à l’origine d’une pensée qui a beaucoup influencé la manière de concevoir politiquement la décentralisation aux XIXe et XXe siècles. Il développe notamment une conception naturaliste de la commune – pensée comme une réalité sociale universelle et intangible – qu’il corrèle à une exigence démocratique pour soutenir l’idée d’une décentralisation qui, tout en participant à la promotion des libertés locales, constituera le creuset indispensable d’une vie démocratique plus aboutie au sein de l’État. Il soutient ainsi que « c’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. »

« La direction des affaires de tous appartient à tous, c’est-à-dire aux représentants et aux délégués de tous. 

Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit  être décidé par cette fraction. »

Benjamin Constant, chapitre XII

de ses Principes de politique (1815)

L'essentiel

À la fin du XIXe siècle, la trop forte centralisation du pays est contestée par une aspiration à voir se développer des libertés locales permettant aux collectivités locales (essentiellement la commune, mais aussi le département) d’administrer plus librement certains pans de l’action publique : c’est le début de la décentralisation.

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