Histoire – 1

Pour fonder l’État, défaire le local : la centralisation

La France est souvent présentée comme un État à la forte tradition jacobine et centralisatrice. S’il est vrai que contrairement à certains de ses voisins (Allemagne, Belgique, Suisse…) de constitution fédérale ou confédérale, le processus de constitution politique du pays a reposé sur l’émergence d’un État central très fort, cette donnée trouve cependant une origine relativement récente dans l’histoire de France. La France a en effet longtemps été morcelée géographiquement, culturellement, linguistiquement, politiquement et juridiquement et n’a trouvé son articulation centralisée qu’à l’issue d’un long processus de centralisation.

Ce mouvement, qui s’est appuyé sur une progressive concentration politique, juridique et bureaucratique du pouvoir, est progressivement parvenu à recouvrir la constitution plurielle de la France, devenue un modèle d’État unitaire au sein duquel la question de l’existence, de la place et de la possibilité de l’expression politique des corps intermédiaires n’a plus relevé de l’évidence.

La centralisation française, articulée autour d’une conception très exclusive de la souveraineté, a d’abord été politique : c’est par l’action progressive des rois de France que l’organisation politique issue de la féodalité, très morcelée et fondamentalement localisée, a peu à peu été recouverte par un pouvoir d’État. Consolidation du domaine de la couronne, généralisation de l’impôt royal, unification linguistique et administrative vont poser des bases que la Révolution française consolidera par l’avènement d’une centralisation juridique

Articulé autour de la Nation, en dehors de laquelle il est réputé ne pas pouvoir exister d’autre identification politique du citoyen, le modèle révolutionnaire fait du droit l’outil de la centralisation en digérant les anciennes institutions sociales dans une organisation administrative réglée par la loi. 

L’époque napoléonienne parachèvera la centralisation en donnant naissance à une centralisation bureaucratique sophistiquée, articulée autour d’institutions d’État puissantes et reliées au sommet par le jeu des nominations, des révocations et de la tutelle. Ce modèle, qui perdurera dans ses grands principes jusqu’à la IIIe République, réduit à néant l’expression politique des institutions locales.

Le terme trouve son origine dans le Club des Jacobins, qui se réunissait durant la Révolution française au couvent des Jacobins de à Paris. Réunissant initialement des révolutionnaires modérés, comme Sieyès et La Fayette, il développe des positions plus radicales sous l’impulsion de Robespierre jusqu’en 1794. 

Lié à la dictature révolutionnaire, le terme a cependant été utilisé sans le poids de cet héritage pour désigner la doctrine politique originaire du Club, qui défendait la souveraineté populaire et l’indivisibilité de la République française ainsi qu’une forte centralisation de l’État.

Aujourd’hui, le terme est souvent utilisé de manière critique pour désigner une tendance au centralisme et au parisianisme, contraire aux aspirations à la diversité et au fédéralisme.

Conformément à son étymologie (natio, en latin, a pour origine nascere, « naître »), le terme nation désigne initialement un groupe plus ou moins vaste d’individus ayant une origine commune. Pendant longtemps, le terme s’appliquait donc, de manière assez floue, à des populations ayant des caractéristiques culturelles ou religieuses communes, habitant une même contrée ou appartenant à un même État. Il avait ainsi, en lui-même, une signification centrifuge qui a radicalement évolué avec la liaison que vont opérer les révolutionnaires de ce concept avec le pouvoir d’État, et grâce à laquelle il va produire au contraire des effets centripètes. 

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la Nation reçoit en effet une signification nouvelle qui fait d’elle une des armes de la révolution idéologique engagée contre les sociétés d’Ancien Régime. Appuyée sur une conception contractualiste visant à relier logiquement l’un (les individus) et le multiple (le corps social), la Nation sert de mythe fondateur et organisateur de l’État et de son pouvoir, légitimé par la fusion logique entre État et Nation (l’État-Nation), l’un étant l’outil d’expression et d’organisation de l’autre. 

La Nation devient alors peu à peu le fondement unique et exclusif du pouvoir et de son expression, au point que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) peut alors indiquer : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » (article 2). Dans un tel contexte, nulle place pour d’autres pouvoirs politiques !

 

S’il ne va pas inventer la centralisation administrative, Napoléon Bonaparte va la pousser jusqu’à ses extrémités en établissant une organisation administrative pensée selon le modèle d’une pyramide vers le sommet de laquelle tout remonte grâce à un puissant principe hiérarchique. « Il faut qu’au centre on sache tout ce qui se fait », dit ainsi en 1812 Montalivet, ministre de l’Intérieur. La volonté est « d’imposer en tout lieu, grâce à une chaîne d’exécutants, le même respect de la loi et des règlements ou des directives centrales pour qu’advienne cette uniformité sans laquelle il n’y a ni unité, ni force nationale, ni ordre ».

 
S’agissant de l’administration locale, c’est la célèbre loi du 28 pluviôse an VIII concernant la division du territoire français et l’administration qui constitue le point de repère fondamental. Elle est notamment connue pour avoir instauré le préfet à la tête de chaque département. L’esprit de Pierre-Louis Roederer, qui sera Conseiller d’État de l’Empire, y est manifeste : « administrer doit être le fait d’un seul homme ». 

Sur cette base, l’article 3 de la loi dispose que « le préfet sera chargé, seul, de l’administration ». Les attributions du préfet, qui « embrassent tout ce qui tient à la fortune publique, à la prospérité nationale, au repos des administrés », pour reprendre une formule de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, sont vastes. Son successeur Chaptal précisera : « le préfet ne discute point les ordres qu’on lui transmet : il les applique, il en assure et surveille l’exécution ». 

Très contrôlés par le pouvoir central, ils assurent eux aussi un rôle de contrôle majeur, qui réside notamment dans la mise en œuvre du pouvoir de tutelle sur les collectivités infraétatiques, et plus précisément sur les communes. À cette époque, la nomination des membres des corps municipaux et des conseils généraux aboutit à l’intégration complète des collectivités infraétatiques dans l’ensemble administratif.

« L’État, c’est moi ! »

Citation apocryphe de Louis XIV

L'essentiel

La France s’est peu à peu constituée sous la forme d’un État fort et très centralisé, privilégiant au nom de la Nation l’égalité et l’uniformité à la diversité territoriale, pourtant réelle, du pays.

Constantyn Francken, Remise des clefs de Strasbourg à Louis XIV, 1681, huile sur toile, Musée historique de Strasbourg. Crédits : Musées de la ville de Strasbourg, M. Bertola.

PROPOSÉE PAR