Histoire – 4
Un facteur de mutation : l’aménagement du territoire
En de nombreux domaines, les Trente glorieuses ont bouleversé le destin de la France d’après-guerre. La décentralisation ne fait pas exception à la règle. À l’heure de l’avènement du supermarché, de la voiture individuelle et de l’urbanité, l’État développe un nouveau rapport au territoire. Soucieux de garantir un développement territorial homogène et de soutenir sa politique économique volontariste, il consacre alors un nouveau concept moteur : l’aménagement du territoire.
Faisant du soutien de l’expansion économique un enjeu déterminant, saisissant le territoire et son organisation comme un enjeu de réussite de la planification économico-aménagiste de l’État, cette approche qui deviendra peu à peu dominante a profondément transformé le sens donné à l’effort de décentralisation. À l’encouragement d’une dynamique ascendante fondée sur la poursuite de l’idéal libéral-démocratique, elle substitue une « réforme territoriale » descendante qui poursuit un idéal alternatif, celui de la rationalité économique et statistique : c’est l’entrée de la décentralisation dans l’ère technocratique.
La DATAR et la « nouvelle décentralisation »
En 1963, pour développer sa politique d’aménagement du territoire, l’État se dote d’une nouvelle administration : la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). À l’origine de nombreuses études prospectives, celle-ci s’est employée à redéfinir les modalités du rapport de l’État au territoire en s’efforçant d’imaginer de nouveaux modes d’organisation jugés plus propres à soutenir l’ambition étatique d’aménagement du territoire.
Dans ce contexte apparaissent les métropoles d’équilibre et les premières communautés urbaines dans le but de renforcer les dynamiques urbaines et de créer des aires urbaines de référence dans chaque région. Dans le même temps, la DATAR appelle au dépassement du département par la création et le développement de régions jugées plus adaptées aux questions économiques, et questionne le nombre de communes, jugé peu rationnel au regard des dynamiques de développement économique, par l’appel à l’intercommunalité.
Moins soucieuse de la dynamique communautaire et démocratique qui l’a nourrie jusqu’alors, supposant une forte emprise de la planification étatique, cette approche de la décentralisation, qui appelle à la « rationalisation » et remplace la décentralisation et sa charge politique par une « réforme territoriale » moins idéaliste, a ouvert la voie à une véritable mutation de la décentralisation française.
Olivier Guichard : une figure de la « nouvelle décentralisation »
Grande figure de l’aménagement du territoire, Olivier Guichard (1920-2004) a poursuivi une carrière d’élu local (maire, président de région) mais est surtout connu pour son activité multiforme au service de l’aménagement du territoire. Entre 1963 et 1968, il est le premier délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale avant de devenir ministre délégué puis ministre d’État en charge de ce portefeuille.
Soucieux d’approfondir la décentralisation, il en développe néanmoins une analyse qui consiste moins à saisir le territoire tel qu’il se présente à partir du legs de l’histoire qu’à chercher à le produire à l’aune d’objectifs économiques et sociaux. La politique publique devient alors, dans ce contexte, un outil de production du territoire.
L’intercommunalité et la régionalisation sont au cœur des propositions poussées par la DATAR. Le rapport « Vivre ensemble » de la Commission de développement des responsabilités locales présidée en 1976 par Olivier Guichard, qui relaie plus largement les projets de la commission nationale d’aménagement du territoire, engage ainsi avec force les pouvoirs publics à développer une forme d’intercommunalité dans laquelle les préoccupations d’aménagement du territoire tiennent le premier rôle.
On lit ainsi dans le rapport que « l’aménagement du territoire est aussi une politique locale », proposition de laquelle il est inféré que « la nécessité de confier aux responsables locaux les plus larges compétences possibles dans le domaine de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme justifie à elle seule la fédération des communes ». La régionalisation, dont Olivier Guichard avait porté le projet avorté en 1969, est ensuite soutenue dans une dynamique fonctionnelle consistant à faire de la région une interface entre État et élus essentiellement chargée de planification et dotée de fortes compétences de soutien à l’activité économique.
« Fruit de la géographie “volontaire” et des nouvelles sciences sociales, [le régionalisme fonctionnel] tend à défi nir au niveau régional un certain nombre de tâches principalement destinées à coordonner, voire à synchroniser les interventions de l’État. »
Jean-Louis Quermonne, Vers un régionalisme fonctionnel ?,
RFSP, 1963, p. 851.
L'essentiel
La deuxième moitié du XXe siècle, marquée par un fort progrès technique et l’essor de la mondialisation, conduit l’État à vouloir « aménager le territoire ». Pour ce faire, il transforme peu à peu son regard sur les modalités et les objectifs de la décentralisation en liant son évolution à une conception centrée sur les enjeux économiques.
En présence d’Hubert Curien, le ministre en charge de la recherche Olivier Guichard remet en 1971 la médaille d’or du CNRS à Bernard Halpern. © CNRS. Remerciements : CNES / CNRS