Histoire – 5

Décentraliser au XXIe siècle : pour quel territoire ?

Peu à peu devenue dominante, la conviction que l’organisation territoriale serait l’enjeu d’une « modernisation », d’une « clarification », d’une « rationalisation » ou d’une « simplification » a conduit à renforcer l’approche technicienne de la décentralisation, peu à peu déshabillée des principes politiques ayant conduit à sa naissance. L’obligation faite aux communes d’intégrer de vastes et puissantes intercommunalités (2010), l’essor et le redécoupage des régions et une réorganisation très technicienne des compétences (2015) ont ainsi conduit à produire par le droit un territoire construit, fortement régionalisé et intercommunalisé, dont les contours s’opposent souvent au territoire vécu des identités sociales, fortement marquées par la commune et le département. 

Aujourd’hui à mi-chemin entre l’organisation héritée de l’idéal libéral-démocratique républicain et celle issue des orientations territoriales économico-aménagistes étatiques, la décentralisation paraît au milieu du gué : sur quelle conception du territoire s’appuyer pour la poursuivre ?

Initialement pensée comme un outil de planification et d’organisation des services déconcentrés, érigée sous la forme d’un établissement public, « circonscription de l’administration économique de l’État » avant de devenir une collectivité territoriale (1982) inscrite dans la Constitution (2003), la région n’est que très récemment vraiment sortie du rôle général de planification économique d’après lequel elle a été pensée, et qui constitue sa substance politique fondamentale.

C’est en effet au seuil de la décennie 2010 qu’un vaste mouvement de déplacement du centre de gravité du droit des collectivités territoriales s’est opéré à son bénéfice. De la loi RCT de 2010 à la loi NOTRe de 2015, il n’est plus guère question que de renforcer le rôle de la région, tandis que celui du département a connu de fortes restrictions dont témoigne, par exemple, la perte de la clause de compétence générale (2015).

Aux côtés des régions, les structures intercommunales ont aussi connu un très net essor. S’éloignant du modèle facultatif et très libre des syndicats de communes (1890), l’intercommunalité a peu à peu laissé la place à de nouveaux modèles d’intercommunalité « à fiscalité propre » (établissements publics de coopération intercommunale, EPCI), plus intégrés, créés par les lois du 6 février 1992 (qui a créé les communautés de villes et les communautés de communes) et du 12 juillet 1999 (qui a remplacé les communautés de villes par les communautés d’agglomération). 

Ce mouvement général s’est accompagné de l’accroissement significatif du nombre des compétences obligatoirement exercées par les EPCI en lieu et place des communes, mais aussi des syndicats de communes dont la dissolution a été entraînée par le transfert de nombre de leurs compétences aux nouveaux EPCI. Pensée comme un outil de substitution (et non de simple complément) au moins partielle d’un nouvel échelon aux communes, affirmée de manière forcée (et non librement choisie), modulée de manière extrêmement contrainte (et non autonome) du point de vue de la détermination des compétences concernées, financée par des ressources propres (et non dérivées des communes), cette modalité de l’intercommunalité a profondément bouleversé le paysage intercommunal, générant parfois un sentiment de défiance de la part des élus communaux que le législateur s’est efforcé de chercher à ménager en renforçant la place des maires au sein des structures intercommunales avec la loi « Proximité et engagement » du 27 décembre 2019.

Il a résulté de ces transformations que le couple commune/département, sans disparaître, a peu à peu perdu de sa dimension structurante de l’architecture des institutions locales, au bénéfice du duo EPCI/régions. La décentralisation française se trouve ainsi aujourd’hui écartelée entre deux modèles aux fondements et objectifs différents, qui cohabitent dans un climat de transition des finalités prêtées à la décentralisation.

« Le sentiment se répand que les choses ne peuvent continuer ainsi : les collectivités jouent un grand rôle dans le développement économique de notre pays, elles pourraient en jouer un plus grand encore si elles étaient modernisées dans leurs structures,
leurs compétences et leur financement. »

Edouard Balladur, « Il est temps de décider », Rapport du comité pour la réforme des collectivités locales, 5 mars 2009.

L'essentiel

Au XXe siècle, la décentralisation se poursuit, jusqu’à être intégrée à la Constitution comme mode d’organisation souhaitable de l’État : peu à peu, les collectivités territoriales gagnent en autonomie politique et juridique.

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